Abraham - Aller plus loin

Le Dieu d'Abram

Genèse 11,27 et Genèse 12,9 est un passage marqué par l’espérance. Dieu offre un avenir à un individu Abram, à sa descendance et à travers lui à une communauté. Avec Abram, Dieu s’affirme comme le Dieu de l’histoire qu’Il crée plutôt à partir d’individus, de familles qu’à partir des institutions étatiques (empire, royauté…). L’histoire ainsi inaugurée, si elle est particulière, a une dimension universelle par le don d’une vocation quasi royale à Abram auprès des familles de la terre. Dieu se préoccupe du sort des autres familles de la terre. De même si Dieu est attaché à une terre qu’il habite (les autels sont les symboles de cette habitation), Genèse 12,1-9 montre que cette terre est partagée par d’autres habitants, les cananéens. Le pays promis est un lieu d’intégration où la cohabitation est possible. Dieu est le dieu d’Abram mais aussi des habitants du pays.

Dieu est un Dieu universel. La bénédiction d’Abram n’est pas un privilège exclusif (différent d’une vision nationale et exclusive de l’élection d’Israël par Dieu (notamment exposée dans le Deutéronome). Le choix d’Abram va concerner tous les peuples. Non seulement Dieu se soucie des autres, mais il est leur Dieu. Cet universalisme témoigne d’une évolution de la représentation du Dieu d’Israël. Cette vision du Dieu unique fait penser aux affirmations universalistes d’Esaïe (Esaïe 56,8 ou Esaïe 66 ). En raison de ces liens, la théologie de Genèse 12,1-9 appartient à l’époque post-exilique où la vocation d’Israël est comprise comme être témoin du Dieu unique. L’universalisme de Genèse 12,1-9 n’est pas contradictoire avec le souci de l’identité (Genèse 24)

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Le nom de Dieu et le sacrifice

Le terme  » invoquer  » se retrouve en Genèse 4,26, pour indiquer que le nom Yhwh s’enracine dans les temps originels, dès les débuts de l’humanité. Depuis toujours, l’histoire des hommes est liée à celle de Yhwh dont la Bible dit en Genèse 2,5 qu’il est le créateur de l’univers.
Il est intéressant de lier le passage à Exode 6,2-3 pour mesurer la tension des textes bibliques entre eux. Exode 6,2-3 précise que Dieu est bien apparu comme Dieu puissant à Abraham, mais que son nom Yhwh, il l’a révélé seulement à Moïse. Ce verset fait référence à Exode 3,13-15, épisode au cours duquel Dieu dit son Nom à Moïse. Moïse est le sujet d’un privilège que n’ont pas eu les patriarches. L’auteur d’Exode 6,2-3 indique ainsi une évolution dans la révélation de Dieu.

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Béthel et Aï

Tous les sites visités par Abram correspondent à une volonté de faire circuler Abram dans les lieux qui symbolisent essentiellement l’Israël du Nord. Abram bâtit un autel entre Béthel et Aï. Béthel représente l’extrême sud des territoires des tribus du Nord et Aï la frontière Nord de la tribu de Benjamin. Il y a là une manière de marquer qu’Abram n’est ni un homme du sud ni du Nord. Il y a là une volonté de légitimer sans doute Abram auprès de ceux qui se revendiquent surtout de Jacob et de montrer qu’il est le lien et l’unité d’Israël.

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Origine du culte de Yhwh

L’origine de Yhwh et de son culte reste un mystère. On a développé depuis quelques années l’hypothèse selon laquelle le berceau de la religion de Yhwh est la région désertique située au sud-est de la Palestine comme l’atteste Juges 5,4 :  » Yhwh, quand tu sortis de Séir, quand tu partis de la steppe d’Edom « . Quoi qu’il en soit, le Yahwisme est une religion importée en Palestine et introduite, pense-t-on, moins par un groupe yahwiste au désert avec Moïse que grâce aux contacts commerciaux avec les Qénites et les Madianites entretenus avec Canaan.

La population israélite est autochtone et d’origine cananéenne (cf. la Stèle de Ménerptah de 1207 av. JC). Le Yahwisme se répand au cours des déplacements commerciaux des Madianites et des Qénites (Genèse 37,28-36). La présence du Yahwisme est attestée dans le Nord d’Israël ou en Transjordanie. Un document de l’époque d’Aménophis III (1402-1364 av. JC) mentionne une liste de peuples parmi lesquels  » Les Shasu de Yhw  » mais il s’agit d’un nom de lieu. Les textes égyptiens situent cette peuplade vers Edom d’où provient ce nom et d’où sont issus les Qénites et les Madianites.

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La revendication du pays

Il convient d’aborder la question en se laissant guider par la multiplicité des compréhensions du pays et des liens entre la descendance et le pays promis. La descendance d’Abraham est multiple, c’est Isaac, certes, c’est aussi Ismaël et les enfants de Qetoura (Genèse 25,1-2). Genèse 17,1s affirme qu’Abram est le père de nombreux peuples.

En Genèse 13,15, la promesse concerne Abram lui-même :  » tout le pays que tu vois, je te le donne ainsi qu’à ta descendance pour toujours « . Genèse 13 offre une interprétation territoriale de la promesse du pays. Là où habite Abram, Loth n’habite pas. En Genèse 12,10-13,18, il y a une vision autochtone du pays : le pays promis, c’est Canaan ; Il s’agit là d’une revendication d’un groupe attaché au pays et tout particulièrement à la Judée. Mais Genèse 23 relativise le caractère territorial et ethnique du pays. Genèse 23 légitime le fait que le pays est celui d’Abraham et en même temps, il légitime une cohabitation paisible et honnête avec ceux qui y habitent déjà. Genèse 20 affirme que le pays est aussi le pays des Philistins, puisqu’il est possible d’y célébrer le culte de Dieu. Il justifie la vie en diaspora, c’est à dire dans des territoires étrangers.

Le cycle d’Abraham, tout en légitimant certains partages territoriaux, a le souci du  » vivre ensemble  » de toute la descendance d’Abraham.

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Structure du texte

Ce qui structure le texte, ce sont les discours de Yhwh qui parle à Abram au moment de son départ et à son arrivée, en Genèse 12,1 et Genèse 12,7. Il y a donc trois unités :

Genèse 11,27-32

Situation initiale difficile et compromise.

Genèse 12,1-6

Parole de Dieu pleine d’avenir et obéissance d’Abram

Genèse 12,7-9

Apparition de Dieu, parole pleine d’avenir, déplacement dans le pays et célébration du culte de Yhwh.

Cette structure montre la nécessité de lire ensemble Genèse 11,27-12,9 et fait apparaître l’importance de l’intervention de Dieu et de sa Parole dans l’histoire d’Israël.

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La parole de Dieu inaugure une histoire

Pars de ta famille… . De la même manière que l’univers est créé au moment précis où Dieu commence à parler et à adresser une parole au chaos, l’histoire d’Israël commence au moment où Dieu s’adresse à Abram. Les textes lus témoignent de cette conviction que l’univers et l’histoire sont advenus et se maintiennent par le don d’une parole qui les fonde. De même la symbolique de la séparation en Genèse 1 (Yhwh crée par une séparation) rebondit en Genèse 12,1 avec l’ordre donné : « Pars » qui implique une séparation d’avec son pays, d’avec ses « générations » et d’avec la maison de son père, marqués par la mort.
En Genèse 22,2, la mention du verbe « pars pour toi » et « une des montagnes que je t’indiquerai » est comparable à Genèse 12,1. Dans les deux textes, il y a la promesse du pays et la présentation d’un Abram/Abraham exemplaire d’obéissance, d’abnégation. Genèse 12 et Genèse 22 sont proches. L’un légitime l’arrivée en Canaan, l’autre la montagne de Morija comme lieu de culte.
L’idée de la migration d’Abram se retrouve dans des textes tardifs comme Josué 24,3, Néhémie 9,7 où elle est interprétée comme une séparation religieuse.

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La parole de Dieu encourage à partir

La rupture qu’entraîne cet ordre est chargée d’un sens positif par les promesses qui suivent. Le départ ne se fait pas vers l’inconnu comme parfois on se plaît à l’imaginer. Il y a bien longtemps que la destination est connue : Canaan déjà du temps de Tèrah. Cette parole fut écrite après l’Exil comme le laissent supposer les préoccupations de continuité et de terre à retrouver. Sur le plan historique, l’ordre de Dieu est à lire comme un encouragement à (re)venir en Canaan, à aller là où Dieu a choisi d’habiter. À l’époque post-exilique, Genèse 12,1-9 s’adresse à ceux qui demeurent en Exil, loin de la Judée et devient un appel à rentrer. La figure d’Abraham devient l’ancêtre des exilés, figure emblématique du retour au pays, modèle de la communauté exilée invitée à revenir.

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Tétragramme

C’est par les quatre consonnes appelées « tétragramme » (quatre lettres) YHWH que le Dieu d’Israël est désigné (on trouve aussi YHVH ou IHVH selon les auteurs). Aux quatre consonnes on a ajouté les voyelles d’un autre mot hébreu. Le tétragramme ne se prononce pas. Quand on lit le texte hébreu, on dit « adonaï » (mon Maître, mon Seigneur) ce qui correspond aux voyelles ajoutées, mais non aux consonnes.

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L'universalisme d'Abraham

Ce n’est pas seulement par Abram que les nations se béniront mais par sa descendance. Il y a derrière cette représentation un détournement de la prétention à l’universalité des grands empires, assyriens, perses. Les textes ainsi que l’iconographie du Proche-Orient Ancien témoignent de cette manière de légitimer la guerre de conquête et la création d’empire pour le  » bien  » des peuples soumis.
D’une manière comparable, l’universalisme de Genèse 12,2-3 s’oppose à l’universalisme de Genèse 11,1-9. En Genèse 11,4 les hommes se font un nom pour ne pas être dispersés par toute la terre. Ils se mettent ensemble pour former une unité qui conduit à l uniformité. Le texte dénonce les prétentions mégalomaniaques des empires mésopotamiens à régner sans tenir compte du projet de Dieu. En Genèse 12,2, Dieu fait du nom d’Abram, un nom par lequel toutes les familles de la terre pourront se sentir rattachées et appartenir à une même bénédiction dans la diversité. L’universalisme biblique fait intervenir la puissance divine non plus par l’exaltation de la puissance institutionnelle, royale ou militaire, mais par l’intermédiaire d’une famille, d’un peuple parmi d’autres, témoin de l’unicité de Dieu.

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Lecture spécifique

Méditation de K.Schächl sur France-Culture le 18/7/2004, disponible sur demande au service radio de la Fédération protestante de France.

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