Violence, de quoi parle-t-on? - Aller plus loin

La violence, un mot fourre-tout

Sémelin Jacques Pour sortir de la violence Paris Les éditions ouvrières 1983 p.15-16 :
Il faudrait d’abord s’entendre sur ce qu’on appelle la « violence ». On parle de la violence d’une gifle comme de la violence de la guerre, de la violence de la naissance comme de la violence du terrorisme, de la violence du forcené comme de la violence de la nature, de la violence de la politique comme de la violence de la rue. On dit d’un ami dont on n’arrive pas à se défaire : « Tu me fais violence ! » On dit d’une lumière qu’elle est violente, d’un effort qu’il est violent. On se fait de temps en temps une « douce violence »… Peut-on mettre toutes « ces violences-là » dans le même sac ? Si oui, quel sens précis donner alors à un mot dont l’utilisation est si extensive et si floue ? La violence est une notion vague, un mot fourre-tout ; c’est l’inflation de son usage qui, aujourd’hui, fait problème.
Sans doute, la violence est-elle devenue si prégnante, si angoissante, que le terme a envahi notre vocabulaire au point qu’est violent tout et n’importe quoi. Mais faut-il pour autant appeler violence tout ce qui nous déplaît, tout ce qui nous fait souffrir, tout ce qui fait obstacle à notre volonté, tout ce qui gêne notre liberté ? Sur ce thème aux contours imprécis, on se trouve d’emblée confronté à un problème de vocabulaire dont il est difficile de se défaire : que décidons-nous d’appeler violence ?

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Différentes violences

Abel Olivier La nécessaire confrontation Information-Evangélisation février 1997 p. 32-33 :
Il y a des violences stratégiques et donc perdables, qui conjoignent des moyens de force et des buts volontaires et partagés, comme il y a des violences qui sont des cris, des expressions, des témoignages de la douleur de vivre ensemble mutuellement obligés, en ville, en société marchande, mais aussi en famille ou en amour.
Il y a la violence « pacificatrice », qui refuse, nie et écrase les conflits, les différends ; et il y a la violence qui en rajoute sur l’irréparable, manière de croire que l’on en est encore acteur.
Et la diversité même des mécanismes de la guerre, migrations dans l’au-delà, expansions instrumentales et imaginaires, machine à fabriquer des différences là où celles-ci sont niées, etc., fait partie de notre effroi.
En face, l’apaisement réel des conflits n’est pas moins pluriel : il y a des conflits où l’on échange des arguments et non des coups, et c’est quand même la fonction primordiale de l’Etat raisonnable que d’organiser et de maintenir cet espace de délibération véhémente.
Il y a la non-violence stratégique qui prend appui sur le levier de l’opinion publique (indignation ou compassion) pour ébranler la volonté adverse. Il y a aussi l’agapè, cette non-violence non-perdable, qui ne voit que des personnes et refuse d’entrer dans le calcul des conséquences, pour attester dans un présent absolu (et à la limite désespéré) la possibilité d’un autre monde.
Mais il y a encore l’apaisement installé dans des choses, dans des dispositifs d’objets qui servent à transiger sur les vues des uns et des autres, territoires délimités, objets partagés, réseau routier et son code, mais aussi institutions civiles, médiations et compromis (promesses réciproques) historiques, et pourquoi pas le Canon biblique, cette boîte noire où l’on trouve canonisées ensemble les traditions dont le conflit même est apparu à nos anciens comme fondateur.

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Mesurer la profondeur de la violence

Ricoeur Paul,  » L’homme non-violent et sa présence à l’histoire « , Histoire et vérité, Paris, Seuil 1955 p.235-245 :

Il faut avoir mesuré la longueur, la largeur, la profondeur de la violence – son étirement au long de l’histoire, l’envergure de ses ramifications psychologiques, sociales, culturelles, spirituelles, son enracinement en profondeur dans la pluralité même des consciences, – il faut pratiquer jusqu’au bout cette prise de conscience de la violence par quoi elle exhibe sa tragique grandeur, apparaît comme le ressort même de l’histoire, la « crise » – le « moment critique » et le « jugement » – qui soudain change la configuration de l’histoire. Alors, mais alors seulement, au prix de cette véracité, la question se pose de savoir si la réflexion révèle un surplus, un plus grand que l’histoire, si la conscience a de quoi revendiquer contre l’histoire et se reconnaître appartenir à un autre « ordre » que la violence qui fait l’histoire.
[…] Que la violence soit de toujours et de partout, il n’est que de regarder comment s’édifient et s’écroulent les empires, s’installent les prestiges personnels, s’entre-déchirent les religions, se perpétuent et se déplacent les privilèges de la propriété et du pouvoir, comment même se consolide l’autorité des maîtres à penser, comment se juchent les jouissances culturelles des élites sur le tas des travaux et des douleurs des déshérités.
[…] Il faudrait aller chercher très bas et très haut les complicités d’une affectivité humaine accordée au terrible dans l’histoire. La psychologie sommaire de l’empirisme qui gravite autour du plaisir et de la douleur, du bien-être et du bonheur, omet l’irascible, le goût de l’obstacle, la volonté d’expansion, de combat et de domination, les instincts de mort et surtout cette capacité de destruction, cet appétit de catastrophe qui est la contrepartie de toutes les disciplines qui font de l’édifice psychique de l’homme un équilibre instable et toujours menacé. Que l’émeute explose dans la rue, que la patrie soit proclamée en danger, quelque chose en moi est rejoint et délié, à quoi ni le métier, ni le foyer, ni les quotidiennes tâches civiques ne donnaient issue ; quelque chose de sauvage, quelque chose de sain et de malsain, de jeune et d’informe, un sens de l’insolite, de l’aventure, de la disponibilité, un goût pour la rude fraternité et pour l’action expéditive, sans médiation juridique et administrative. L’admirable est que ces dessous de la conscience resurgissent au niveau des plus hautes couches de la conscience : ce sens du terrible est aussi le sens idéologique ; soudain la justice, le droit, la vérité prennent des majuscules en prenant les armes et en s’auréolant de sombres passions ; les langues et les cultures sont jetées au brasier du pathétique ; une totalité monstrueuse est équipée pour le danger et la mort ; Dieu lui-même est allégué : son nom est sur les ceinturons, dans les serments, dans la parole des aumôniers casqués.
Telle est la racine chevelue que la violence historique pousse dans toutes les couches de la conscience. Mais une psychologie de la violence n’est pas encore au niveau de l’histoire où la violence s’organise en structure. C’est pourquoi il faudrait encore dire les « formes » sociales auxquelles s’ordonnent les forces convoquées, dire les structures du terrible. A cet égard la lecture marxiste de l’histoire est irremplaçable pour comprendre l’articulation du psychique à l’histoire dans la dialectique de la lutte des classes : à ce niveau le terrible devient histoire, en même temps que l’histoire, sous l’aiguillon du négatif, se nourrit du terrible […] Il faut donc croire que, par quelque maléfice inhérent à l’histoire, tous les hommes ne soient pas possibles ensemble : certains sont de trop pour les autres.
Car il ne faut pas s’y tromper, la visée de la violence, le terme qu’elle poursuit implicitement ou explicitement, directement ou indirectement, c’est la mort de l’autre – au moins sa mort ou quelque chose de pire que sa mort. C’est ainsi que Jésus découvre la pointe de la simple colère : celui qui se met en colère contre son frère est le meurtrier de son frère. Le meurtre prémédité et effectif est, à cet égard, le repère de toute violence : dans le moment de la violence, l’autre est affecté de l’indice « à supprimer ». La violence a même une carrière sans fin : car l’homme est capable de plusieurs morts dont quelques-unes, quintessenciées, exigent du moribond qu’il soit retenu au bord de la mort pour goûter jusqu’à la lie les morts pires que la mort ; le torturé doit être encore là pour porter la plaie consciente de l’avilissement et vivre sa destruction au-delà de son corps, au cœur de sa dignité, de sa valeur, de sa joie ; si l’homme est plus que sa vie, la violence voudrait le tuer jusque dans le réduit de ce plus ; car c’est finalement ce plus qui est de trop.
C’est ce terrible qui fait l’histoire : la violence apparaît bien comme le mode privilégié selon lequel la figure de l’histoire change, comme un rythme du temps des hommes, comme une structure de la pluralité des consciences.

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Négation de la différence

Vasse Denis  » Propos à deux voix sur la violence « , in : Cahier Evangile 76, Paris : Cerf 1991 p. 25 :
La violence est une force de la nuit. Elle est aveugle et elle aveugle. La violence est aveugle parce qu’elle veut tout ramener au même par la force. Elle nie la parole originaire qui « fait la différence ». Son leitmotiv inconscient est : « Pas d’Autre » ou pas de différence.
[…] Pour le moment, il nous suffit de dire que « l’Autre » est ce qui désigne un tiers non-représentable – il n’a pas d’image – mais sans lequel toute relation se change en violence. Un Autre fonde l’identité de l’homme dans la différence du « je » et du « tu » par rapport à un « il ». Le violent réduit l’autre au même. Il voit en l’autre l’image qu’il doit se soumettre car elle lui appartient. C’est à la fois échapper à la vie de l’Esprit et refuser de naître à la parole. En tant que sujet, l’homme n’existe pourtant que dans la parole. C’est elle qui le spécifie jusque dans sa différence charnelle.
Dans la tentative de vivre hors d’elle, hors de la différence subjective dont le sexe est la vivante métaphore, il n’est pas étonnant d’entendre et de voir le violent s’identifier imaginairement à l’animal et/ou à l’ange. Dans les deux cas (et le passage de l’une à l’autre de ces deux positions est constant) c’est de la négation du corps humain comme lieu du sujet – comme temple de l’Esprit – qu’il s’agit. Nier le corps comme temple de l’Esprit revient à refuser la différence subjective née de la référence à la Parole tierce. La violence déclare la rencontre impossible à vivre. Elle la conçoit sur le registre d’une différence objective à réduire pour rétablir l’unité.

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Violence et vie

Malherbe Jean-François, Violence et démocratie, Sherbrooke : CGC 2003 :
Le mot français violence vient du mot latin vis qui désigne d’abord la force sans égard à la légitimité de son usage. Le mot grec correspondant est bia qui signifie tout à la fois la force vitale et la violence. Bia est la forme féminine de bios qui désigne la vie et que l’on retrouve dans les vocables « biologie », par lequel on nomme la science du vivant, ou « biographie » qui signifie « l’écriture de la vie » et par extension désigne le « récit écrit d’une vie ».
Mais l’étymologie nous apporte d’autres précisions éclairantes. Le mot grec bios n’est pas le seul à signifier la vie. Celle-ci se dit aussi zôè. Ces deux termes ne sont toutefois pas équivalents. Les anciens Grecs réservaient bios à la vie humaine et zôè à la vie animale et végétale. La ligne de démarcation entre bios et zôè, c’est le logos, la parole. Selon Aristote, les humains sont des animaux parlants (zôoi logikoi) et, par conséquent, des animaux politiques (zôoi politikoi). (Aristote La Politique Paris Vrin 1995)
C’est dire que les Grecs de l’Antiquité considéraient que la question de la violence (bia) ne se pose pas pour les animaux (zôoi) mais seulement dans le domaine de la vie humaine (Bios). Cela suggère très précisément que la question de la violence a affaire avec la parole qui est le propre de l’humain. Cela suggère aussi que les animaux ne sont pas, à proprement parler, violents : leurs comportements obéissent simplement aux lois inexorables de la nature. La « violence animale » n’est donc qu’une projection anthropomorphique sur le comportement animal.
En quel sens la violence a-t-elle alors affaire avec la parole ? De toute évidence, la violence n’est pas que physique. Elle peut aussi être psychique, comme dans le chantage. Elle peut être également langagière, comme dans l’injure ou la menace, dans l’interpellation, l’arrestation, l’inculpation ou la condamnation. Mais la parole n’est pas qu’un des vecteurs possibles de la violence. Elle est le lieu même où notre force vitale (bia), prenant conscience d’elle-même, soulève, à son propre propos, la question éthique. En l’animal parlant, la force vitale prend distance d’elle-même et s’interroge sur sa propre destination. En l’animal parlant, émerge un sujet qui fait retour langagier sur la force de vie qui le traverse et s’interroge sur l’orientation à lui imprimer. D’être déniée, cette question reçoit une réponse indirecte et perverse : c’est la violence de la tromperie, de la corruption, de la méchanceté, du vice et de la dépravation, toutes manifestations dévoyées et intolérables, de la force vitale. D’être assumée, en revanche, la question ouvre à la sagacité de l’humain le champ tout entier de l’éthique.
Dénier la force qui le traverse fait de l’humain le jouet de cette force. Reconnaître cette force, la nommer, tenter de l’apprivoiser, de la retourner non pas contre elle-même mais au service de l’humain lui-même et de ses projets, fait de ce dernier un véritable sujet. Devenir sujet de sa vie ou rester le jouet des forces aveugles qui la traversent, tel est le défi de l’animal parlant, tel est l’enjeu du politique.

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Conventions de Genève, Extraits

Article 3
En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes :
1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :
a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices; b) les prises d’otages; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés.
2) Les blessés et malades seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit. Les Parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur par voie d’accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention. L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet sur le statut juridique des Parties au conflit.

Article 127
Les Hautes Parties contractantes s’engagent à diffuser le plus largement possible, en temps de paix et en temps de guerre, le texte de la présente Convention dans leurs pays respectifs, et notamment à en incorporer l’étude dans les programmes d’instruction militaire et, si possible, civile, de telle manière que les principes en soient connus de l’ensemble de leurs forces armées et de la population.
Les autorités militaires ou autres qui, en temps de guerre, assumeraient des responsabilités à l’égard des prisonniers de guerre, devront posséder le texte de la Convention et être instruites spécialement de ses dispositions.

Article 130
Les infractions graves visées à l’article précédent sont celles qui comportent l’un ou l’autre des actes suivants, s’ils sont commis contre des personnes ou des biens protégés par la Convention : l’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, le fait de contraindre un prisonnier de guerre à servir dans les forces armées de la Puissance ennemie, ou celui de le priver de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement selon les prescriptions de la présente Convention.

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Pays ayant aboli la peine de mort

Depuis 1990, plus de 35 pays et territoires ont aboli la peine de mort pour tous les crimes. Parmi eux figurent des pays d’Afrique (comme l’Afrique du Sud, l’Angola, la Côte d’Ivoire, Maurice ou le Mozambique) ; des Amériques (comme le Canada ou le Paraguay) ; d’Asie (comme Hong Kong, le Népal, Samoa ou Timor-Leste) et d’Europe (comme l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, l’Estonie, la Géorgie, la Lituanie, la Pologne, la Serbie-et-Monténégro, le Turkménistan ou encore l’Ukraine).
La Douma russe devait examiner, au début du mois d’avril 2004, le projet de loi ratifiant le Protocole N°6 de la Convention du Conseil de l’Europe de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, concernant l’abolition de la peine de mort (protocole signé par la Russie en avril 1997).

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