Fidélité fragile et solide - Aller plus loin

Commentaire

Ansaldi Jean  » Le mariage chrétien, mariage autrement  » Information-Evangélisation décembre 1994 n°6 p. 8-10 :

 » Le Nouveau Testament ne répète pas l’Ancien, mais il réinterprète profondément. Au fondement du lien conjugal, il n’y a donc pas pour nous le livre de la Genèse mais la parole du Christ telle que nous la répercute le plus ancien des évangiles, celui de Marc 10,6-8. […] Jésus ne se contente pas de répéter le livre de la Genèse mais il la réinterprète et l’arrache à ce qui n’est plus compatible avec la Nouvelle Alliance : il reprend certains mots, en modifie d’autres, en omet de nombreux ; ses « oublis » parlent autant que ses reprises. Lisons en détail :

  • 1. La première affirmation provient de Genèse 1,27 : être « humain », au masculin ou au féminin, n’est pas réductible à quelques traits anatomiques : c’est occuper une place spécifique devant Dieu : être homme-mâle ou homme-femelle infléchit les actes de croire, de louer, de servir, d’aimer, de contempler, de travailler, de rêver, de se distraire, etc… Le Christ redonne dignité à la diversité des sexes. Jésus reprend donc Genèse 1,27 mais « oublie » le verset 28 qui lui est lié et qui appelle à une intense fécondité du couple. Dans le Nouveau Testament, les enfants sont une bénédiction mais ils ne jouent plus le rôle qu’ils avaient dans une Ancienne Alliance toute tendue vers sa future réalisation. Désormais, « tout est accompli » par le Christ ; l’essentiel est donné dans la croix du Seigneur. Les enfants sont maintenant « en plus », pour la joie et l’amour ; mais ils cessent d’être les fruits d’un ordre divin et donc d’un devoir humain. Il devient alors légitime pour un couple de réguler les naissances et d’accéder à une parenté responsable et décidée en commun.

  • 2. La deuxième affirmation est reprise de Genèse 2,2. Mais ici, Jésus apporte une modification de taille : là où l’auteur écrivait « l’homme-mâle quittera son père et sa mère pour s’attacher à son épouse », Jésus déclare « l’humain (mâle et femelle) quittera son père et sa mère ». Le Nouveau Testament infléchit progressivement le statut féminin : cette distance vis-à-vis des parents, qui arrache à l’enfance pour créer une nouvelle existence à deux, est posée comme un appel devant chacun des deux sexes. Hommes et femmes sont également invités à grandir dans l’autonomie, à désirer en leur nom propre au lieu de venir occuper la place que leur désigne le désir de leurs parents. La femme est maintenant incluse dans cette vocation à la liberté ; elle n’est plus, comme dans la Genèse, le seul objet du désir de l’homme.

  • 3. La troisième affirmation est absente de beaucoup de manuscrits : elle entre en contradiction avec celle qui précède. (Quand on dit : « l’homme (mâle et femelle), quittera son père et sa mère », on ne peut plus ajouter « et s’attachera à son épouse » !). Il est probable qu’un copiste aura voulu maladroitement restituer la totalité de la citation de Genèse, sans se rendre compte qu’il revenait en arrière par rapport à la modification qu’apporte Jésus.

  • 4. La quatrième affirmation marque le projet : « Devenir une seule chair » ; ce qui peut se traduire par « devenir une seule réalité visible et publique ». La sexualité active est certes incluse dans cette parole ; mais celle-ci vise plus large et appelle à une dimension historique, ecclésiale et sociale du couple.

  • 5. La cinquième affirmation enfin pose l’indissolubilité de l’alliance conjugale, sa pérennité liée au fait qu’elle reflète l’Alliance entre Dieu et son peuple, comme l’enseignaient déjà les prophètes Osée et Malachie (Cf. entre autre Malachie 2,10ss) ; mais plus encore pour le chrétien, l’Alliance entre le Christ et son Eglise, comme l’affirme l’auteur des Ephésiens 5,21-32. Parce que rien ne peut rompre la fidélité de Dieu et de son Christ vis-à-vis de son peuple, rien ne devrait ébranler l’alliance conjugale entre un homme et une femme. Cette indissolubilité du couple n’est pas une loi qui écrase mais une promesse qui libère : le Christ a toujours su prendre acte des échecs humains, accueillir la détresse et offrir un nouveau recommencement. « 

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Amour dans la durée

Quéré France, La famille, Paris : Seuil p.183 :
 » Le contraste supposé entre fidélité et sincérité s’effondre. On ne voit pas comment l’une subsisterait sans l’autre. La fidélité sans sincérité, qu’est-ce ? … une comédie dont on sait très bien qu’il est impossible de la jouer indéfiniment… La fidélité implique nécessairement au moins de la tendresse et un vif attachement à une foi jurée. Et la sincérité sans fidélité, qui peut y croire ? Un sentiment qui ne veut pas continuer ce qu’il a commencé avoue son mensonge. Vous dites : j’aime mais pas : j’aimerai. Dès maintenant, le ver est dans le fruit, vous n’aimez pas. Sincérité, fidélité sont indissociables. La profondeur d’une passion ne se mesure pas à son seul plaisir. Les sentiments s’amarrent à des volontés dont Auguste Comte a rappelé qu’ils créaient des sentiments, non moins que les sentiments créaient des devoirs ; des principes immuables se mêlaient hardiment aux remous des passions et aux péripéties de la vie. « 

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Pérennité du couple

Krieger Gérard  » La qualité ou la durée  » Le Messager évangélique :
 » Que signifie s’engager à vie dans une relation conjugale, alors que les aspirations de notre époque sont liberté, autonomie, indépendance, épanouissement personnel ? Comment concilier ces valeurs très actuelles avec le besoin d’amour, le désir de vivre avec un(e) partenaire une relation affective stable, de construire une histoire commune ? Il y a deux siècles à peine, un couple qui se mariait avait une espérance de vie commune d’environ 20 ans : le temps d’élever dans des conditions difficilement imaginables aujourd’hui, une dizaine d’enfants dont les deux tiers mouraient avant d’avoir atteint l’âge adulte. L’engagement à vie dans la relation conjugale était une garantie de sécurité pour les enfants et de stabilité pour la société traditionnelle. Aujourd’hui, les personnes qui se marient s’engagent pour une durée potentielle de 50 ans de vie commune. Ils ont le temps d’élever, avec les moyens les plus modernes, les allocations et les aides de toutes sortes, deux ou trois enfants, et de vivre, après le départ des enfants, encore une deuxième, voire une troisième étape de vie. L’engagement à vie dans la relation conjugale présente bien d’autres enjeux qu’autrefois, d’autant plus que nous vivons une époque de paradoxes : d’un côté l’amour est placé en tête des valeurs et des attentes d’aujourd’hui, de l’autre, le couple marié ou non, est le lieu de nombreux échecs, souffrances et drames. Mais alors que depuis des années on parle de crise du mariage, il faut se rendre à l’évidence : les gens continuent à se marier. Et s’ils ne se marient pas (par refus de l’engagement formel dans la durée, ou par rejet de la forme institutionnelle que propose la société), du moins se mettent-ils en couple. Il faut faire preuve de créativité pour nommer ces nouvelles situations : mariage, concubinage, union libre, cohabitation, contrat d’union civile, familles éclatées, familles-mosaïques ou patchworks, et autres familles monoparentales ou recomposées… Il est vrai que les fondements du lien conjugal ont changé. Les lecteurs de la Bible savent, par exemple, que le patriarche Isaac n’a pas épousé sa femme Rébecca parce qu’il en était « tombé amoureux », mais parce que son père Abraham avait chargé son serviteur de lui trouver une femme dans son pays d’origine et dans sa propre famille. Dans la société dite traditionnelle, les mariages étaient généralement arrangés par les familles pour des causes qui les dépassaient : fécondité et descendance, patrimoine, héritage… Ce n’est que récemment, et dans nos sociétés, que le sentiment amoureux est devenu le fondement du mariage avec toute la richesse humaine et la fragilité que cela comporte. Dans la société traditionnelle et patriarcale, les rôles respectifs de l’homme et de la femme étaient clairement établis : « Le mari est le chef de la femme, tout comme le Christ est le chef de l’Eglise », écrit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Ephésiens, texte dont on a abusé à toutes les époques. Aujourd’hui, les rapports d’égalité qui s’établissent dans nos sociétés modernes et démocratiques obligent à un travail considérable de négociation, de dialogue, de remise en question des fonctionnements de l’homme et de la femme pour aller dans le sens d’un partenariat plus développé entre eux. Ces évolutions font dire à certains, un peu rapidement sans doute, que de nos jours le mariage est déconsidéré et le divorce est trop facile, que le couple et la famille sont dévalorisés par l’idéologie d’une société individualiste et de consommation. A l’écoute attentive des souffrances conjugales lors des consultations, il m’apparaît bien au contraire que les couples qui se marient actuellement tiennent le mariage en haute estime et en attendent beaucoup. Ils en attendent même tellement que, bien souvent, la « barque conjugale » est surchargée. Les couples actuels accordent plus d’importance à la qualité de la relation humaine qu’à la durée du lien conjugal. Ils ne sont plus prêts à maintenir un lien qui ne serait pas humainement satisfaisant. « 

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Un événement de parole

Lecomte Jacques, Interview paru dans Femme Actuelle.
L’auteur, chercheur en psychologie, décrit la notion de  » résilience  » et montre l’importance de la rencontre, de la reconnaissance qui naît de la parole d’un autre.
 » Rappelons que la résilience, c’est la capacité psychique d’aller bien, après avoir vécu une situation douloureuse (exclusion, maltraitance, accident grave, deuil…). La résilience se construit sur le lien et le sens. Une rencontre, justement, peut générer un lien et donner du sens à la vie de quelqu’un en détresse mais aussi une direction. Elle va lui permettre de construire des repères pour pouvoir se situer à un épisode clé de sa vie. […] Dès lors que notre existence compte pour quelqu’un d’autre, ne serait-ce qu’une personne, alors elle peut prendre du sens. Par exemple, si un enfant a été humilié et rejeté dans son foyer, son image de lui-même peut être transformée s’il croise sur sa route ce qu’on appelle un « tuteur de résilience » : il a enfin une place dans l’existence parce qu’il a une place dans le coeur de quelqu’un. L’estime de soi a essentiellement deux fondements : la reconnaissance par autrui et la satisfaction liée à nos réalisations. Or une rencontre fondatrice joue sur ces deux facettes et a aussi un rôle d’encouragement. Quand une personne a le sentiment que quelqu’un a confiance en elle, elle retrouve une dynamique de vie. […] On peut très bien être inséré socialement mais ne pas avoir de vraie valeur à ses propres yeux. Jusqu’à ce qu’une rencontre bouleverse tout par quelques mots. Dire à quelqu’un : « Tu vaux quelque chose et tu es capable de faire çà », c’est une phrase qui fait vivre. […] Les résilients ont toujours croisé sur leur route quelqu’un qui les a aimés. […] On ne perçoit souvent l’importance des tournants de l’existence que plus tard, et non au moment où ils sont en train de se produire. « 

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Fidélité

Sibony Daniel  » Partage des eaux « , in : La fidélité, Revue Autrement 1992 p. 20-21 :
 » La Bible fourmille de paradoxes sur la fidélité. Dans l’histoire de Job, on a un homme droit, en tous points fidèles à la Loi ; et justement la Loi le traite comme un infidèle. En fait, il refoule l’infidélité plus qu’il n’est fidèle. Il illustre d’emblée ce que la fidélité peut avoir d’agressif dans son aspect préventif : où elle récuse d’avance tout ce qui peut arriver d’autre venant de l’Autre. En un sens, la fidélité est une guerre avec l’Autre, et il importe que ce soit une guerre d’amour plutôt qu’un projet d’extermination ; une guerre d’amour où les adversaires se respectent, se reconnaissent … et renoncent à se fasciner sur des solutions finales où le terme est d’en terminer avec l’un deux… Sous un angle plus ouvert, la question de la fidélité redevient passionnante. Même dans la tradition biblique, le dialogue entre Dieu et son peuple, bien que relevant d’une éternelle scène de ménage, maintient voire renouvelle les enjeux d’une alliance. Là, le constat de l’infidélité et son dépassement font partie d’une fidélité à long terme. Car la métaphore de la fidélité est la mémoire, c’est la question privilégiée où sa question se rejoue… Le Dieu biblique joue cette carte : vous m’avez trahi… mais je vous pardonne. Autrement dit : vous allez encore recommencer, vous pouvez encore recommencer mais là encore il y aura du  » retour « . Retour de fidélité et d’infidélité. Option sur l’infinité de vie. La fidélité est l’hypothèse d’une lecture toujours ouverte « .

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Institutions

Grimm Robert  » Institution du mariage et conjugalités vécues  » Cahiers de l’Institut Romand de Pastorale n°10 Décembre 1991 p.13-14 :
 » Consentir à l’institution du mariage, c’est finalement parier qu’elle soutient et oriente nos désirs profonds et qu’en ce sens elle n’est pas l’ennemie de l’homme, mais son éducatrice. Dit autrement encore : entrer en institution, c’est entrer en humanité, c’est aussi l’enrichir de mes désirs singuliers, de mes questions et du témoignage que peut constituer mon couple, mon mariage. Finalement, je crois que nous avons moins à critiquer l’institution du mariage que la médiocrité des couples qui vient en elle et la discrédite. Je pense qu’elle est non seulement éducatrice mais qu’elle est aussi une aide et une chance parce qu’elle offre au couple de s’exprimer en visibilité sociale, et lui donne une forme et un cadre porteur qui permettent aux conjoints de s’adapter l’un à l’autre et de faire une histoire qui, avec le temps, puisse produire du sens. […] Le couple ne peut vivre longtemps du seul cri passionnel. Il a besoin d’une durée, d’un lieu et d’une fidélité pour inscrire une histoire sensée. L’amour, comme la foi, n’échappent pas à la loi royale de l’incarnation du sens. Dans le monde avant-dernier, l’institution du mariage -toute relative qu’elle soit- me paraît être une chance offerte au couple pour vivre son aventure de manière optimale. Mais il n’en reste pas moins que c’est à chaque couple de désirer le bonheur d’aimer, toujours humble et précaire, de le chercher et de le faire. Nous savons que Quelqu’un d’Autre peut nous y aider. « 

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Un mariage autrement

Ansaldi Jean  » Le mariage chrétien : un mariage « autrement »  » Information-Evangélisation décembre 1994 n°6 p.10 :
 » Si le mariage est donc un état offert à tous les hommes, le Christ appelle les chrétiens à le vivre de manière spécifique, comme un témoignage rendu à l’Evangile. Dans la foi, le partage des biens matériels et spirituels, la fidélité mutuelle, la solidité du lien conjugal, le renouvellement de l’amour qui lie les conjoints ne sont pas principalement régis par la loi que définit le code civil mais sont reçus comme un don gracieux que le Seigneur veut renouveler tous les jours. Le pacte d’alliance qui constitue la famille n’est pas réductible à un contrat juridique mais se veut refléter l’alliance que le Christ a traitée avec son Eglise. La célébration religieuse du mariage ne constitue donc pas un « autre mariage » mais manifeste la spécificité chrétienne de l’alliance conjugale établie pas à pas par les conjoints et rendue publique à la mairie. Placé sous la bénédiction de Dieu, illuminé par la parole, cimenté par des engagements qui ne se fondent pas sur la loi mais sur la liberté que donne la grâce du Seigneur, le mariage chrétien n’est pas un « autre » mariage mais un mariage « autrement ». « 

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La vie à deux

Extrait de la brochure  » Une parole pour deux « , éditée par l’Eglise réformée de France :
 » La vie à deux, c’est, à partir d’une parole échangée, le plaisir d’exister avec quelqu’un et pour quelqu’un, le plaisir de se découvrir par le cœur et le corps, celui de pouvoir compter l’un sur l’autre, indéfectiblement. Elle est source de force, de bonheur partagé, d’épanouissement personnel… De nombreux couples, cependant, ont peur de s’engager pour une durée qui peut sembler terriblement longue. Mais, à trop vouloir s’entourer de garanties, ne risque-t-on pas de manquer l’essentiel : la vie, avec ses aléas, certes, mais aussi la merveille de ces instants où se révèle la valeur d’aimer et d’être aimé. « Aimer, c’est vouloir aimer ». La promesse d’aimer détermine l’avenir, elle établit un nouvel ordre de priorités : aimer, c’est se risquer résolument avec celui ou celle que l’on aime, c’est vouloir son bien comme le sien propre. Cette volonté, enracinée dans l’amour, est le ciment de la vie à deux. Ainsi l’amour peut grandir, évoluer, accepter les mises en question que le temps entraîne ; il est fortifié par l’engagement du cœur et de l’esprit « .

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