Fidélité fragile et solide - Espace temps

Dans d'autres cultures

Le mariage, chez les Matassalaï, se déroulait à la pleine lune. La mariée était vêtue d’une peau de zèbre et coiffée de plumes de flamant rose. Le marié avait un pagne en peau de léopard et un collier de dents de crocodile. Les futurs mariés se présentaient au chef devant le feu. Tout le village les accompagnait jusqu’au fleuve où ils se baignaient. De retour devant le feu, les époux se faisaient sécher à l’aide de feuilles de palmiers. Le marié offrait à sa femme une chaîne de fidélité qu’il avait sculptée lui-même et la femme lui offrait une bague en ivoire de crocodile.

Revenir à la page précédente
Traités de vassalité

Grâce à l’archéologie, on a retrouvé des documents très anciens (en particulier des Hittites qui dominèrent l’Asie mineure au 2e millénaire avant JC) qui sont des traités par lesquels un souverain puissant accordait sa protection à un état plus petit, lui imposant en contrepartie un certain nombre d’obligations. Ces écrits, dans leur structure et leur composition ressemblent beaucoup à certains textes bibliques, notamment dans le Deutéronome. On considère généralement que la Bible a pu s’inspirer de ces modèles pour décrire les conditions de l’alliance de Dieu avec le peuple d’Israël. Dieu protège le peuple, mais il attend en retour une obéissance et une fidélité aux exigences exprimées dans la Loi. Notamment le peuple ne doit pas se tourner vers les idoles ou vers d’autres dieux. Ainsi le prophète Osée dénoncera l’idolâtrie du peuple, le fait qu’il se tourne vers d’autres dieux, comme un geste de prostitution.

Revenir à la page précédente
Trancher une alliance

Ce que l’on traduit habituellement par  » conclure une alliance (berit)  » s’énonce littéralement  » trancher une alliance  » (Genèse 15). Donc, ce qui fait lien est un geste qui paradoxalement sépare, c’est-à-dire qui effectue une coupure. Cette compréhension de l’alliance est très intéressante, car l’idée de pacte suppose généralement un lien qui se tisse. Or l’alliance biblique se tranche, dans le sens où ce qui lie l’un à l’autre  » n’est pas un geste de prise, mais de déprise. Autrement dit, la conjugalité témoigne de l’alliance biblique, lorsqu’elle tranche une possession, c’est-à-dire lorsqu’elle institue non pas un « avoir l’autre » mais un « être avec l’autre » « . (Jean-Daniel Causse) Ce que note bien Marie Balmary lorsqu’elle dit que, dans la conjugalité, il s’agit de.

Revenir à la page précédente
Chez Luther

Luther, Martin, Œuvres, Tome II, Genève : Labor et Fides, 1966, p.282-283 :
 » Mais voici une troisième grâce incomparable qui appartient à la foi : elle unit l’âme à Christ comme l’épouse est unie à l’époux. Par ce mystère, dit l’apôtre, Christ et l’âme deviennent une seule chair. Une seule chair : s’il en est ainsi et s’il s’agit entre eux d’un vrai mariage, et, plus encore, d’un mariage consommé infiniment plus parfait que tous les autres -les mariages entre humains ne sont que de pâles images de cet exemple unique- il s’ensuit que tout ce qui leur appartient constitue désormais une possession commune, tant les biens que les maux. Ainsi tout ce que le Christ possède, l’âme fidèle peut s’en prévaloir et s’en glorifier comme de son bien propre, et tout ce qui est à l’âme, Christ se l’arroge et le fait sien. Comparer, ici, c’est découvrir l’incomparable. Christ est plénitude de grâce, de vie et de salut : l’âme ne possède que ses péchés, la mort et la condamnation. Qu’intervienne la foi et, voici, Christ prend à lui les péchés, la mort et l’enfer ; à l’âme en revanche, [sont donnés] la grâce, la vie et le salut. Car il faut bien que Christ s’il est l’époux, accepte tout ce qui appartient à l’épouse et, tout à la fois, qu’il fasse part à l’épouse de tout ce qu’il possède lui-même. Qui donne son propre corps et se donne lui-même, comment ne donnerait-il pas en même temps tout ce qui lui appartient ? Et comment celui qui prend le corps de l’épouse ne prendrait-il pas tout ce qui appartient à l’épouse ? […] Or c’est lui [le Christ] qui, en vertu des épousailles de la foi, prend sa part des péchés, de la mort et de l’enfer de l’épouse. […] Ainsi, par les arrhes de la foi en Christ, son époux, l’âme fidèle est affranchie de tout péché, à l’abri de la mort et assurée contre l’enfer, gratifiée de la justice éternelle, de la vie et du salut de Christ, son époux. C’est ainsi qu’il se donne une épouse glorieuse, sans tache ni ride, il la purifie dans le bain de sa Parole de vie, c’est-à-dire par la foi en sa Parole, en sa vie, en sa justice et en son salut. Telles sont les épousailles dans lesquelles il l’unit à soi : la foi, la miséricorde et les compassions, la justice et le jugement, comme il est dit en Osée 2. Qui donc pourrait se faire une idée digne de ce mariage royal ? Et qui pourrait embrasser les glorieuses richesses d’une telle grâce ? Voici que, riche et saint, Christ, l’époux, prend pour épouse cette prostituée chétive, pauvre et impie ; il la rachète de tous ses maux, il la pare de tous ses biens. Il n’est plus possible que ses péchés la perdent, car ils reposent sur Christ et sont engloutis en lui. Quant à elle, elle possède en Christ la justice qu’elle peut regarder comme la sienne propre… « 

Revenir à la page précédente
Changements, évolutions, maturations

Gérard Krieger a montré les différentes étapes de la vie d’un couple dans la durée. Voici le résumé de son propos.
Le couple est un organisme vivant, qui passe par des hauts et des bas et traverse des étapes :

  • 1. La préhistoire (1 = l’infini) : l’histoire de chaque conjoint est celle de son enfance, de ses parents, de sa famille d’origine. Quand on se met en couple on  » n’épouse  » pas qu’un individu, mais aussi sa famille et son histoire, telle qu’elles ont été intériorisées.

  • 2. L’enfance du couple (1+1=1) : que ce soit par le coup de foudre ou à travers une longue amitié, par  » les contraires qui s’attirent  » ou par  » ce qui se ressemble s’assemble « , l’état amoureux est caractérisé par :
    –  » on est seuls au monde  » : aspect passionnel et fusionnel
    –  » on se comprend d’un seul regard, sans s’expliquer  » : la communication vécue comme immédiate
    –  » tu es la plus belle  » : idéalisation du partenaire
    –  » on s’aimera toujours  » : sentiment d’éternité

  • 3. Deuil de l’illusion (1+1=2) : l’autre n’est pas parfait, il ne peut pas combler tous mes manques, ni guérir toutes mes blessures. La mathématique du couple passe du 1+1=1 à 1+1=2. Et si nous sommes 2 et si nous sommes différents, il faut apprendre à dialoguer et à communiquer.

  • 4. Le premier enfant (1+1=3) : il y a glissement de générations vers le haut. La fille devient mère et le fils devient père. Nouveau statut et nouveau rôle à apprendre d’où des réajustements inévitables avec les parents et avec le/la conjoint(e). L’enfant fait de l’adulte un parent et révèle toute une épaisseur du/de la conjoint(e) peu ou mal connu(e).

  • 5 L’adolescence des enfants : la crise d’adolescence est souvent contagieuse et réactive des problèmes et conflits non résolus des parents (la mère défend les enfants contre le père jugé trop sévère ou le contraire).

  • 6. Le départ des enfants ou  » le syndrome du nid vide  » : le couple se retrouve face à face après des années de diversions, lorsque les enfants ont occupé le centre des préoccupations. Le temps des réflexions et des questions nouvelles, ou des fuites (refaire sa vie, recommencer à zéro, plonger dans la dépression…). Ou un temps pour se retrouver d’une façon nouvelle pour une nouvelle étape de la vie.

Revenir à la page précédente
La célébration religieuse

Jean-Daniel Causse, Cours par correspondance :
 » La bénédiction nuptiale  »
On sait que la tradition réformée a refusé de faire du mariage un sacrement et a affirmé que la cérémonie religieuse ne crée pas le couple conjugal, c’est-à-dire ne fait pas le mariage . Le couple qui entre dans un temple ne va pas se marier : il est déjà marié. Ceci est très clairement attesté, par la liturgie classique de l’Église Réformée au moment de l’échange des consentements. La formule classique est la suivante : N… vous avez pris pour femme Y… ; lui promettez-vous de l’aimer de la respecter, etc. Y…, vous avez pris pour mari N…, lui promettez-vous de l’aimer, de le respecter, etc. Vous avez pris pour femme ou pour mari : c’est donc déjà fait au moment des engagements ; le couple est reconnu comme étant déjà uni (A la différence de la liturgie catholique romaine qui dira classiquement : N… voulez-vous prendre pour femme Y… ; et Y… voulez-vous prendre pour mari N… (cela s’opère au moment où les conjoints disent  » oui  » en présence du prêtre). La cérémonie, en régime protestant, est donc conçue comme bénédiction ou, pour le dire avec Calvin, comme confirmation d’une union conjugale et non comme création de cette union conjugale. Toutefois, dans cette perspective, le protestantisme a eu tendance à trop sacraliser théologiquement et liturgiquement la célébration civile comme si elle faisait le mariage, dans le sens où elle en serait l’essence. Or, à mon sens, l’être du mariage ne relève ni de la maîtrise de l’État, ni de celle de l’Église, mais de la seule parole d’alliance conjugale. C’est dire que la cérémonie au temple n’est pas simple aspersion d’eau bénite sur le mariage civil, mais un  » rendre public  » autre, qui signifie une dimension singulière du mariage. J’aimerais brièvement en souligner trois aspects :

Je ne reviens pas sur tous les aspects que j’ai développés et qui concerne le fondement théologique de la conjugalité, notamment la dimension de la fides comme constitutive de l’alliance conjugale. Inutile de dire que cela a toute sa place dans un temps liturgique. J’ajoute maintenant ceci : la bénédiction sur le couple est une dimension fondamentale. Rappelons que  » béné-diction  » est un  » bien-dit « , une bonne parole qui s’oppose à la  » malé-diction  » qui est  » mal-dit « , une mauvaise parole. Or chacun des conjoints est précédé par des discours dont certains ont fait ou ont pu faire malédiction. Or, la malédiction c’est toujours une sorte de répétition du même, un retour de la même chose, un  » mal-dit  » qui se rejoue parfois de génération en génération. Or, ici est posée une bénédiction, c’est-à-dire une parole qui atteste que du nouveau est possible et non pas la seule répétition d’un même familial. La malédiction nous tire toujours vers l’arrière ; la bénédiction rompt le destin de la répétition (ce qui a été sera) et pose le couple dans un devenir neuf : ce que vous construisez est votre histoire, dans son unicité, et non la seule répétition de votre histoire familiale. ·

La célébration religieuse du mariage inscrit le couple sur le socle d’une parole qui n’est pas la sienne, mais qu’il reçoit d’un Autre. Certes, le couple est fondé sur un échange de parole (je suis ton mari, je suis ta femme), mais il ne repose pas seulement sur ses propres forces, mais sur l’extra-nos d’une Parole. Le couple conjugal s’appuie tout à la fois sur ce qu’ils se disent publiquement et sur ce qui leur est dit au nom du Christ. Or, ici la métaphore de l’alliance Christ-Eglise prend toute son sens : Christ n’aime pas l’Église parce qu’elle est conforme à l’idéal, parce qu’elle en est digne ou parce qu’elle est sans failles. Il aime l’Église parce qu’il aime, c’est-à-dire telle qu’elle est, sans conditions et sans raisons assignables. Rien ne justifie cet amour qui est et demeure en l’absence de raisons. Cet Évangile de la grâce sur lequel repose l’amour conjugal permet de se mettre à distance des logiques d’idéalisations et de recevoir l’autre que l’on aime comme être aimé du Christ par grâce. Car ce qui fait vivre ultimement ne peut être que ce qui vient sans être dû. De ce fait, cet évangile permet à chacun des conjoints d’assumer devant Dieu sa propre histoire, ce qui a été vécu et qui est plus ou moins glorieux. Chacun se sait accueilli et reconnu dans sa propre histoire. ·

La célébration religieuse construit une mémoire qui est mémoire de ce que le couple conjugal a fait advenir au langage dans le lieu communautaire, mais aussi mémoire de paroles extérieures au couple conjugal. Or, la mémoire est la condition de l’avenir. Elle est la capacité de relire et de réinterpréter les mots prononcés, d’en retrouver la place fondatrice dans les temps de doute ou de crise. A ce titre, la mémoire n’est pas idéalisation d’un passé, mais capacité d’inscrire de la nouveauté et du changement dans le continu d’une histoire commune. C’est, pour le dire avec Ricoeur, l’articulation de la mêmeté et de l’ipséité.

La célébration religieuse du mariage n’est donc pas un autre mariage, mais un mariage que l’on fonde sur la parole du Christ. « 

Revenir à la page précédente