On nous change la religion! - Aller plus loin

Les chrétiens devant les religions

Un texte d’André Gounelle :

« Quelle valeur et quelle signification peut-on, en tant que chrétiens, accorder aux autres religions ? A cette question, on a donné des réponses diverses, voire opposées, que je classe en quatre grandes catégories.

1. L’hostilité :
La première comprend ceux qui rejettent tout dialogue interreligieux. Ils admettent parfois un dialogue politique, social, éthique et humain, mais ils ne veulent pas aller jusqu’à la spiritualité. En effet, pour eux, il existe une incompatibilité radicale entre la foi chrétienne et les religions du monde. L’évangile est la seule source de vérité et ce qui existe ailleurs relève de l’illusion ou de l’erreur. Les fidèles d’autres cultes peuvent être parfaitement estimables et respectables sur le plan humain, il n’en demeure pas moins que leurs religions n’ont rien à apporter aux chrétiens qui ont à lutter contre les fausses compréhensions de Dieu et de l’existence humaine qu’elles proposent. […]

2. La récupération :
La deuxième grande attitude à l’égard des autres religions cherche à utiliser au profit du christianisme leur spiritualité. Les religions aménagent le terrain, disposent les coeurs et préparent les esprits à se convertir au Christ. Elles sont des instruments dont Dieu se sert pour amener à la vérité évangélique. Elles ont une fonction positive sur le plan spirituel et pas seulement éthique ou politique, mais on juge leur valeur provisoire et subordonnée. […]

3. La conjugaison :
La troisième catégorie d’attitudes part de la conviction que toutes les religions ont une valeur spirituelle propre, qu’elles reflètent toutes quelque chose de la réalité divine. Chacune porte une vérité à la fois réelle, authentique, et relative, limitée. Aucune n’a le monopole de la vérité. Il s’agit donc d’apprendre à les conjuguer ou à les additionner, ce qui peut se faire de deux manières différentes : soit en les juxtaposant, en les mettant côte à côte ; soit en les combinant, en les fusionnant. […]

4. La pluralité :
Je qualifierai la quatrième de « pluralisme avec norme ». Pluralisme parce qu’on affirme qu’il y a plusieurs révélations de Dieu, qu’il se manifeste de manières diverses et multiples. Dans le judaïsme, dans l’Islam, dans le bouddhisme et ailleurs, il y a une présence et une action de la vérité dernière, comme dans le christianisme. Cependant, à la différence de la catégorie précédente, on tente de définir une norme, un critère, un principe qui permet de les évaluer. [Ce principe peut par exemple concerner la valeur éthique, créative ou de résistance à l’idolâtrie de chaque religion.] […]

Actuellement, beaucoup de théologiens chrétiens réfléchissent sur le sens des autres religions. Il est probable que de nouvelles positions vont apparaître et s’ajouter à celles que j’ai repérées et situées. La situation n’est pas du tout figée, elle ne cesse d’évoluer. Ainsi il y a trente ans, on jugeait très satisfaisantes les attitudes récupératrices (la deuxième catégorie de ma classification). Depuis, on en a découvert les limites, les faiblesses et on cherche autre chose. Toute une recherche se développe, surtout dans les pays anglo-saxons et, pour le moment, on ne voit pas très bien sur quoi elle débouchera. Il s’agit d’un chantier qui n’en est qu’à ses débuts. »

Gounelle André Faut-il dialoguer avec les autres religions ? Dossier préparatoire à Débat 2000 2000 débats Paris Publication de l’Eglise réformée de France 2000.

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Foi et religion

A plusieurs reprises dans l’histoire du christianisme, le débat entre foi et religion a occupé des théologiens. Car comment se nouent vérité et religion ? Ou encore : qu’est-ce que la vraie religion ? La foi chrétienne est-elle cette vraie religion ?
La tradition catholique répond à cette question en conjuguant les catégories de naturel et de surnaturel : la religion naturelle, inhérente à tout être humain, est en quelque sorte un préambule à la foi chrétienne révélée qui, elle, est de l’ordre de la grâce de Dieu. De manière assez proche, tout un courant de la théologie protestante du 19e siècle avait soutenu l’idée d’une structure habitant la conscience humaine, se traduisant notamment dans le sentiment religieux, qui pouvait devenir le support de la foi. Dans les deux cas, l’homme est ainsi considéré comme étant capax dei (c’est-à-dire capable d’une relation avec Dieu), pour reprendre une expression qui court tout au long de l’histoire du christianisme.
Le grand théologien Karl Barth (1886-1968), figure majeure du protestantisme du 20e siècle, va vigoureusement s’opposer à cette conception qui insiste sur une continuité ou une complémentarité entre religion et foi, et proposer un modèle de rupture.
Pour lui, précisément parce qu’elle est l’effort de l’homme pour monter vers Dieu, la religion est le signe le plus éclatant du péché, de la rupture de l’homme avec Dieu : « la religion représente la tentative, toujours mise en échec et cependant toujours reprise avec une nouvelle force, par laquelle l’homme cherche à réaliser par ses propres moyens ce que seul Dieu peut créer en lui : la connaissance de la vérité, la connaissance de Dieu » (Dogmatique, vol. 4, Genève: Labor et Fides, 1954, p. 93). Cette critique vise toute religion, surtout le christianisme lorsqu’il devient volonté religieuse de « capturer » Dieu.
La foi, à l’inverse, est fruit de la seule grâce de Dieu. Elle s’inscrit dans le mouvement « descendant » de la révélation, qui va de Dieu vers les hommes. « Une religion de la grâce devient vraie par la grâce seulement. Cela se manifestera par sa volonté de ne dépendre que de la grâce, ainsi que par les symptômes dont nous avons parlé plus haut : le renoncement à toute prétention humaine, la confession que nous sommes toujours de nouveau des ennemis de Dieu. En nous reconnaissant ennemis de Dieu, nous ne pouvons qu’être sans cesse renvoyés, comme des suppliants, à Celui que nous refusons et qui s’oppose à nous d’une toute autre manière que nous à lui. […] Qu’il y ait une vraie religion, est un événement lié à l’action de la grâce de Dieu en Jésus-Christ. » (Ibid., p. 128 et 132).
Si un Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) s’est largement inscrit, sur ce point, dans la suite de Barth, d’autres théologiens ont adopté des positions plus nuancées, voire opposées : Emil Brunner (1889-1966) refuse tant les modèles de la continuité que de la rupture et souligne « l’interpellabilité » de l’homme par Dieu ; Rudolf Bultmann (1884-1976) voit en l’homme un « être-en-question » pris à partie par la foi qui le transforme et l’ouvre sur un vie nouvelle ; Paul Tillich (1886-1965) cherche à mettre en corrélation la situation humaine constamment affrontée au non-être et le message de l’Evangile qui fait surgir un être nouveau.

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Le foot-ball, une religion séculière ?

Extraits de Ch.Bromberger:

« A quoi rime l’engouement de nos contemporains pour les matchs et les clubs de football? Que cherchent à mettre en forme les passionnés qui se regroupent sur les gradins des stades ?
Saisi à travers les règles qui le définissent, à travers les commentaires des supporters ou encore à travers la comparaison avec des jeux de balle qui s’épanouirent à d’autres moments de l’histoire ou dans d’autres civilisations, le football apparaît comme un « jeu profond » qui condense et théâtralise les valeurs fondamentales du monde contemporain.
Comme les autres sports, il exalte le mérite, la performance, la compétition entre égaux; il affiche avec éclat, par le truchement de ses vedettes, que dans nos sociétés, les statuts ne s’acquièrent pas à la naissance mais se conquièrent au fil de l’existence. Mais si le match de football est aussi captivant à regarder que « bon à penser », c’est que l’aléatoire, la chance, y tiennent une place singulière. La figure du hasard plane ainsi sur ces rencontres, rappelant, avec brutalité, que le mérite ne suffit pas toujours, sur le terrain comme dans la vie, pour devancer les autres. De ces impondérables, joueurs et supporters tentent de se prémunir par une profusion de micro-rituels.
Ce « jeu profond » jette, par ailleurs, un pont entre l’universel et le singulier. Le football s’offre comme un terrain privilégié à l’affirmation des identités collectives et des antagonismes locaux, régionaux, nationaux. La composition de l’équipe offre une métaphore de cette identité collective. Le stade est un des rares espaces de débridement toléré des émotions, contrepoint à la retenue et aux freins qu’impose, dans les interactions sociales ordinaires, la civilisation des moeurs. Là s’éprouve le plaisir des gestes et des paroles à la limite de la règle. Là les gros mots ont droit de cité. Là s’expriment des valeurs dont l’expression est socialement proscrite (affirmer crûment son appartenance sexuelle, son aversion pour l’autre, etc.). Ce langage, pétri de métaphores viriles, guerrières, sacrificielles, d’expressions xénophobes, est profondément ambigu. D’une part, il nous dit les peurs, les haines, les symboles qui travaillent le corps social ; de l’autre, son caractère outrancier participe de la confrontation : tout ce qui peut choquer l’Autre, souligner le soutien extrême que l’on porte aux siens est mis à profit. Quant au stade, il s’offre comme un des rares espaces où une société urbaine se donne une image sensible de ce qui la cimente et la compartimente.
Peut-on comparer le grand match de football à un rituel religieux ? La réponse doit être nuancée. Si tous les éléments d’une cérémonie semblent réunis : fidèles, « confréries », officiants, lois, lieu clos consacré au culte, mise en présence du bien et du mal, recours à des pratiques magico-religieuses pour dominer l’aléatoire…, il manque une représentation de la transcendance, de l’au-delà, du salut.
Saisi dans tous ses états et dans toutes ses résonances, le match de football apparaît comme un puissant révélateur de nos sociétés. »

Bromberger Christian, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme 1995 (réimp. 2001).

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Individu et vivre-ensemble : le protestantisme marque la société

Un texte d’O. Galland, directeur de recherches au CNRS:

« Les Européens des pays protestants et nordiques (auxquels il faut adjoindre les Pays-Bas, mais pas l’Angleterre) ne sont pas simplement plus libéraux en matière de mœurs que leurs voisins méridionaux et catholiques. Ils entretiennent aussi un rapport très différent avec leur société, rapport qui n’a pas été érodé par la montée de la permissivité.
L’individualisation des mœurs, pourtant très avancée, y reste compatible avec le maintien d’une forte culture civique et d’un sentiment consistant d’appartenance collective qui n’a pas son équivalent dans les pays de tradition catholique. Elle ne débouche donc pas sur un individualisme. Ces Européens de tradition protestante déclarent avoir spontanément confiance dans les autres, fréquentent assidûment les associations, sont attachés aux vertus civiques et ont une grande confiance dans les institutions de leur pays. Cette influence religieuse persistante n’a plus rien à voir avec la pratique régulière du culte, qui est très faible, mais l’appartenance au protestantisme continue néanmoins d’être associée à des vertus civiques et à un idéal collectif qu’avait analysés en son temps Max Weber. »

Galland Olivier Le Monde 13 octobre 2002

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La mondialisation du croire

Le nouvel an chinois est célébré par des non-bouddhistes, Noël est devenu une fête universelle, chacun est au courant du début et de la fin du ramadan, on parle une trentaine de langues à Taizé, un voyage du Dalaï-lama est un événement médiatique, les Journées mondiales de la jeunesse se tiennent successivement dans les plus grandes villes du monde… Autant de petits signes de l’autre mutation majeure, avec les effets de l’individualisation, qui affecte le paysage religieux : la mondialisation du croire.
La mondialisation n’est en effet pas seulement économique. La multiplication et l’extension planétaire des réseaux se vérifient aussi dans la sphère des spiritualités et des religions, et cela dans des domaines les plus variés, touchant notamment aux leaders, aux croyances et aux chercheurs universitaires. Quelques leaders religieux marquent régulièrement l’actualité. On a évoqué plus haut le Dalaï-lama, figure émergente typique dans ce domaine. Le bouddhisme tibétain est à peu près complètement ignoré par les Français ; ceux-ci disent avoir en horreur l’idée d’une collusion entre le politique et le religieux, alors même que c’est l’une des fonctions du Dalaï-lama ; il n’empêche : les succès télévisuels et éditoriaux signalent la puissance attractive d’un tel personnage. Bien sûr, c’est le pape Jean-Paul II qui, parmi les responsables religieux récents, a poussé le plus loin et avec un impact remarquable cette logique de mondialisation symbolique, et a ainsi redonné une vigueur universelle à une fonction sérieusement contestée et déconsidérée avant lui.
A une échelle beaucoup plus petite, nombreux sont les petits entrepreneurs religieux qui, s’appuyant non pas sur des institutions qui les délègueraient mais surtout sur leur charisme personnel, se lancent dans leur propre activité spirituelle et n’hésitent pas pour cela à s’expatrier. On rencontre facilement des prédicateurs musulmans, des rabbins volontaristes ou des missionnaires fondamentalistes protestants, venus des pays les plus divers et qui se disent envoyés par Dieu pour réveiller les consciences, purifier les pratiques, convertir les âmes.
Les réseaux de financements se déploient parallèlement. Certes, des pays continuent de jouer des rôles-phares dans ce domaine : monarchies pétrolières du Proche-Orient, Israël, Etat du Vatican, par exemple. Mais ce sont plus souvent encore des communautés implantées dans les pays d’origine qui tiennent à bout de bras et pendant plusieurs années ces envoyés, mondialisant d’une certaine manière l’horizon spirituel même de ceux qui ne voyagent pas.
Les convictions elles aussi franchissent les frontières des pays et des traditions. Le phénomène de découplage de la croyance et de l’appartenance peut ainsi conduire de jeunes occidentaux de culture catholique à « faire le ramadan » pour accompagner leurs amis musulmans ou à proclamer leur ferme conviction que leur « karma » conditionne leur vie future. Des emprunts, des influences ou des passerelles entre traditions spirituelles diverses ont toujours existé ; c’est même l’une des conditions de leur vitalité et de leur pérennité. La Bible elle-même est née pour une part de ces interpellations reçues de cultures religieuses différentes ou adressées à elles -certains textes en témoignent explicitement. La nouveauté de notre époque tient à la dimension véritablement planétaire de ces échanges, à leur accélération et plus encore au sentiment fréquent que, finalement, toutes les croyances se valent et que toutes ou presque doivent pouvoir être compatibles entre elles.
Aiguillonné pour une part par ces évolutions, le dialogue interreligieux, notamment au niveau universitaire, a vu ainsi tout un champ nouveau s’ouvrir depuis une génération. Colloques, publications, cours, échanges de toute nature se multiplient et impliquent presque toujours une dimension internationale. Ils traduisent sans doute une triple préoccupation :
– la connaissance : aller au-delà des préjugés ou des savoirs de surface pour comprendre ce qui constitue cette dimension essentielle de l’activité humaine, dans toute sa diversité ;
– la paix : au-delà du savoir sur les logiques internes de chaque tradition, favoriser une compréhension mutuelle qui fasse barrage aux violences humaines, dans lesquelles une dimension religieuse est souvent présente, parfois de manière prépondérante ;
– l’interrogation : comment intégrer le fait même d’une pluralité religieuse, donc d’une relativité objective, lorsqu’on est soi-même croyant, c’est-à-dire lorsqu’on attribue une valeur absolue à l’une de ces traditions ?

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Pourquoi les sectes sont-elles attirantes ?

L’individu idéalisé d’aujourd’hui, autonome, toujours en quête de performance dans des domaines aussi variés que sa profession, sa sexualité, ses vacances ou sa spiritualité, est un individu fragilisé. Parce qu’il est mis en demeure de s’épanouir et de se réaliser et d’être « au top, sinon rien », l’échec peut signifier à ses yeux ou aux yeux des autres une sorte de mort intime et honteuse. Il lui faut donc se singulariser, marquer sa différence.
« Or, écrit le journaliste et essayiste Jean-Claude Guillebaud, là est le piège. Pourquoi ? Parce que l’affirmation consolatrice d’une identité, la proclamation publique d’une « différence » dans le cadre d’une société multiculturelle exigent que l’on adhère à des groupes, des communautés, des « tribus » ou catégories qui sont jalouses de leurs différences collectives. Ces groupes confèrent des identités communautaires, des appartenances de substitutions. Mais elles ne le font qu’au prix d’une adhésion sans nuance, voire d’une obéissance fusionnelle aux codes et aux valeurs dudit groupe. Rien ne leur est plus étranger que la singularité individuelle ou la dissidence. En d’autres termes, elles effacent l’individu en l’intégrant. Elles refabriquent une forme nouvelle et redoutable de micro-holisme : le holisme identitaire [Du grec holos, qui signifie « entier », le holisme est le point de vue selon lequel la totalité doit primer sur la partie, la collectivité sur l’individu.]. Le raisonnement vaut aussi bien pour l’appartenance à une bande de quartier que pour l’adhésion à une minorité raciale, religieuse ou sexuelle. » (Guillebaud Jean-Claude La refondation du monde Paris Seuil 1999 p. 239s).
Les sectes religieuses jouent donc le même rôle vis-à-vis de l’individu fragilisé que la bande de jeunes, le club de supporters, l’ultra-militantisme gay ou le groupe ethnique. La secte n’attire pas tant par sa doctrine que par la sécurité qu’elle offre. Plus le groupe enserrera l’individu en le distinguant de l’entourage, plus elle lui donnera ce sentiment de sécurité. A la manière d’un entrepreneur dynamique qui exploite une niche d’un marché, plus le leader créera de la dépendance en cultivant émotion, autorité et relation personnelle, plus il attirera.
Les sectes constituent la réaction rigide, parfois totalitaire, au parcours chaotique d’individus fatigués de construire par eux-mêmes une spiritualité sans repères.

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Le protestantisme, une spiritualité de la rencontre

L’individu contemporain « mondialisé » se voit proposer aujourd’hui principalement deux types de spiritualités : les spiritualités de l’épanouissement et celles de la rupture.
Les spiritualités de l’épanouissement s’adressent à l’individu dans ce qu’il a de conquérant. Elles valorisent ce qu’il ressent intérieurement et la croissance de ses branches. Son idéal est le développement personnel de ses capacités. La logique est celle du « C’est mon choix ! », inscrite dans une perspective de performance.
Les spiritualités de la rupture s’adressent à l’individu dans ce qu’il a de fragile. Elles valorisent ce qu’il peut afficher extérieurement et la solidité de ses racines. Son idéal est l’affirmation groupale de son identité. La logique est celle du « C’est ma tribu ! », inscrite dans une logique de réassurance.
Ces types peuvent bien sûr se combiner et s’observer chez la même personne selon les époques de sa vie. Le protestantisme peut connaître des versions proches de l’un ou l’autre. Pourtant, il se présente dans son intuition fondatrice comme une spiritualité différente: une spiritualité de la rencontre.
La rencontre est d’abord celle de Dieu. Dieu vient à la rencontre de l’être humain. Il prend l’initiative de cette rencontre, la rend possible et l’accomplit. Les textes bibliques qui témoignent de ce mouvement sont innombrables : pensons par exemple à Dieu appelant l’homme dans le jardin d’Eden (Genèse 3,9) ou suscitant les prophètes (Exode 3 ; Jérémie 1) ; aux rencontres de Jésus allant au devant de ses disciples (Matthieu 4,18 ; Luc 24,15), annonçant l’Evangile (Marc 15), touchant les malades (Marc 8,23), s’adressant aux impurs (Jean 4) racontant des paraboles (Luc 10,25-37) ; à d’autres événements encore (Marie et l’annonce la naissance de Jésus, Paul sur le chemin de Damas), bouleversant ceux qui les vécurent et qui les rapportèrent comme autant de rencontres.
La foi est cette expérience d’une rencontre fondatrice pour le croyant, provoquée par Dieu lui-même. Elle est à la fois intime, personnelle, intérieure et en même temps elle place le croyant hors de lui-même puisque c’est dans une rencontre avec un autre, Dieu, que le croyant expérimente vraiment qui il est. Ce qui est décisif dès lors n’est plus son intériorité (spiritualité de l’épanouissement), ni son appartenance (spiritualité de la rupture), mais ce tête-à-tête avec Dieu. L’être humain croyant se découvre en vérité lorsqu’il ne vit ni replié sur lui-même, ni face aux autres, mais devant Dieu.
A titre d’illustration, on peut souligner combien la célébration du culte protestant témoigne de ce mouvement. Le culte s’ouvre par la proclamation de la grâce de Dieu : il indique ainsi qu’avant d’être centrée sur l’invocation par le fidèle, la cérémonie qui va suivre est le fruit de la convocation adressée par Dieu. Le culte est centré sur la prédication, qui est écoute de la parole de Dieu. La cène est le repas partagé à l’invitation du Christ et non l’offrande d’un sacrifice présenté par l’Eglise. Dans le dialogue liturgique qui structure le déroulement du culte, l’initiative de Dieu est sans cesse soulignée.
Dieu vient donc rencontrer l’être humain et cette dimension de la rencontre est dès lors constitutive de toute la vie du croyant. C’est elle qui donne son sens à la vie communautaire de l’Eglise – et l’on se rappellera ici que l’étymologie du mot Eglise signifie : la communauté de ceux qui ont été appelés dehors. C’est elle qui fonde ce principe essentiel aux yeux des protestants qu’est le « sacerdoce universel » – cette responsabilité confiée à tout chrétien d’aller à la rencontre des autres pour témoigner de la rencontre avec Dieu. C’est elle qui permet d’investir positivement la vie sociale et politique -qui n’est plus considérée comme un espace sans valeur spirituelle mais comme le lieu d’expression des capacités de chacun mises au service des autres.
La spiritualité protestante invite à voir dans la rencontre la chance, l’occasion de la vie authentique. Le « Je » se construit dans cette rencontre avec l’autre, un Autre qui est Dieu et qui m’ouvre à la relation avec les autres, les autres qui sont des prochains me renvoyant à la relation avec Dieu.

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