Seul devant Dieu avec les autres - Aller plus loin

Don de Dieu

Bonhoeffer Dietrich De la vie communautaire Neuchâtel/Paris Delachaux et Niestlé S.A. 1955 p. 26-27:

 » Il en est de la communauté des chrétiens comme de la sanctification dans notre vie personnelle. C’est un don de Dieu sur lequel nous n’avons aucun droit à faire valoir. Lui seul sait ce qui se passe vraiment. Ce qui nous semble insignifiant peut être très important à ses yeux. Le chrétien n’a pas à se demander sans cesse où en est sa vie spirituelle. De même, Dieu ne nous donne pas son Eglise pour que nous mesurions continuellement sa température. Il nous la donne pour que nous l’en remerciions chaque jour, et c’est dans la mesure où nous saurons le faire qu’elle deviendra de jour en jour plus forte et plus nombreuse selon le bon plaisir de son Seigneur. La fraternité chrétienne n’est pas un idéal à réaliser mais une réalité créée par Dieu en Christ, à laquelle il nous est permis d’avoir part. C’est dans la mesure où nous apprendrons à reconnaître que Jésus-Christ est vraiment le fondement, le moteur et la promesse de notre communauté dans son ensemble, que nous pourrons apprendre à penser à elle, à prier et à espérer pour elle, avec sérénité. Mais nous avons dit que, du fait que Jésus-Christ est son unique fondement, la communauté chrétienne n’est pas une réalité d’ordre psychique mais d’ordre spirituel. Elle se distingue par là de toutes les autres formes de communauté. Par « spirituel » la Bible entend : ce qui vient du Saint-esprit, lequel nous fait reconnaître Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur. Par « psychique » la Bible entend au contraire tout ce qui, dans nos âmes, est l’expression de nos désirs, de nos vertus et de nos possibilités naturelles. « 

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Communauté ecclésiale locale

Delteil Gérard et Keller Paul, L’Eglise disséminée, Paris/Genève : Cerf/Labor et Fides 1995 p.37-38 :

 » La Réforme ne détruira pas la paroisse, même si elle utilise d’autres mots pour la désigner. Elle en modifiera la compréhension et le fonctionnement, à partir de quelques principes fondamentaux qui trouveront des expressions différentes selon les pays, selon le pouvoir politique en place, et selon qu’on se trouve sous influence luthérienne ou calviniste. L’Eglise est une réalité locale ; elle existe là ou la prédication suscite la foi et rassemble une communauté. L’accent est mis sur la Parole et sur la communauté qui en vit, non sur un territoire ou une institution. Aucune communauté n’est Eglise hors de la communion et de la solidarité avec les autres Eglises. Ce lien nécessaire trouve son expression à travers un réseau d’assemblées, de synodes et de conseils où siègent des laïcs et des ministres. Les ministères sont les canaux de la prédication, le ministère pastoral en particulier. C’est la raison de leur importance et de la place qui leur est faite. Toutefois ils n’ont pas qualité pour exercer un magistère doctrinal, car l’Ecriture seule fait autorité, selon le témoignage intérieur du Saint-Esprit. »

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Eglise comme communion des croyants

Birmelé André, article  » Eglise  » in : Encyclopédie du protestantisme Paris/Genève Cerf/Labor et Fides 1995 p 485-486.

« La Parole de Dieu atteint son but lorsqu’elle éveille l’être humain à la foi et l’intègre à l’Eglise, communion des croyants. Par l’Evangile, le Saint-Esprit « appelle, assemble, édifie, éclaire, sanctifie toute la chrétienté de la terre et la maintient en Jésus-Christ, dans l’unité de la vraie foi » (Luther Petit Catéchisme explication du troisième article du Credo). L’affirmation que seule l’écoute et la réception de la Parole engendrent la foi (Romains 10, 14ss) souligne la nécessité de cette Parole de Dieu pour l’être du croyant et par là pour l’être de l’Eglise, communauté des croyants. La foi est ainsi la première caractéristique essentielle de l’Eglise, la seule condition pour être membre de cette communauté des croyants. La seconde caractéristique essentielle de l’être de l’Eglise est la communauté ou la communion des croyants. L’expression « communion des saints » employée par le Symbole des apôtres reprend des affirmations du Nouveau Testament. Ce dernier utilise le terme koinônia (communion) pour caractériser la relation nouvelle unissant Dieu et les croyants, et par voie de conséquence les croyants entre eux. Cette communion est fondée sur la Parole de Dieu. Elle est communion dans l’écoute de cette Parole, l’adoration et la prière (Actes 2,42). Elle signifie participation à la mort et à la résurrection du Christ par le baptême (Romains 6 ). La célébration de la sainte cène qui rassemble les chrétiens en communion avec leur Seigneur est elle-même appelée koinônia (1Corinthiens 10,16-21). Par son corps qu’il a donné, Jésus-Christ unit à lui tous ceux qui y participent. Comme le corps du Christ est un, ainsi tous ceux qui participent ensemble au pain et au vin deviennent un. Ceux qui sont « en Christ » ou qui ont revêtu le Christ (Galates 2,20 ; Galates 3,27ss ; Romains 6,10) ont part au corps du Christ (1Corinthiens 10,17 ; 1Corinthiens 12,27 ; Romains 12,5), à l’Eglise. Cette métaphore de l’apôtre Paul sera reprise avec certaines nuances par d’autres auteurs bibliques : Christ la tête et l’Eglise son corps (Ephésiens et Colossiens), Christ l’époux et l’Eglise l’épouse ou la fiancée (Ephésiens 2,14 et 16 ; Ephésiens 5,30ss ; 2Corinthiens 11,2 ) , ou l’image d’une construction, le temple de l’Esprit Saint, dont Christ est la pierre angulaire et les croyants les pierres vivantes (1Pierre 2,4-6 ; Ephésiens 2,18-22). La Réforme du 16e siècle a redonné toute sa place à cette compréhension de l’Eglise comme communion. Par la Parole et l’Esprit Saint, un être humain entre en communion avec Christ et devient membre du Christ . Cette incorporation est synonyme de participation vivante à la communion de l’Eglise. Cette communion vécue en Christ instaure une nouvelle qualité de relation entre les êtres humains. Elle signifie compassion mutuelle et participation réciproque aux souffrances et aux joies (2Corinthiens 1,6-7 ; Philippiens 4,14-16). Elle s’exprime dans le partage de ce que l’on possède (Romains 15,26 ; 2Corinthiens 9,13). C’est la conséquence de l’  » être un  » dans le Seigneur. La Parole de Dieu appelle et rassemble les êtres humains en une communion caractérisée par une qualité de relation à l’opposé des relations perturbées par le péché et habituelles entre les humains. L’expression significative de cette relation nouvelle est la communion dans le partage du repas qui ne connaît plus les distinctions et opposition de races, de sexes, de statuts sociaux ou de nations. L’Eglise correspond à son être véritable lorsqu’elle est  » communauté de soeurs et de frères « . Cette communion n’est pas seulement une réalité présente, mais elle englobe les croyants de tous les temps et renvoie à un accomplissement plus grand et plus parfait à la fin des temps. « 

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Organiser la vie communautaire

Keller Carl-A. et Müller Denis, article  » Spiritualité  » in : Encyclopédie du Protestantisme, Paris/Genève Cerf/Labor et Fides 1995 p.1480-1482 :

 » Les Réformateurs ont ouvert la voie à une relation d’intimité personnelle avec Dieu. Mais ils n’ont pas pour autant oublié d’organiser la vie communautaire. (…) Certes, ils admettent que l’Eglise véritable est invisible ; elle est celle des vrais élus dont le nombre est connu de Dieu seul. Pourtant, la communauté ecclésiale terrestre, visible, est irremplaçable; elle est voulue par Dieu comme lieu de la prédication de l’Evangile et de l’administration correcte des sacrements. Une des raisons est que la communauté est appelée à accompagner et à guider la progression spirituelle de ses membres. Elle n’est certes pas une autorité sacramentelle qui s’interposerait entre Dieu et l’âme individuelle. Elle n’a pas à censurer les expériences et les opinions ; elle n’a pas à donner son aval à la voie que chacun est amené à suivre. Elle est une haie vivante, plantée par le Seigneur, circonscrivant un enclos très vaste dans lequel toute personne de spiritualité peut évoluer librement. Mais non sans l’encouragement de ses semblables. Car toute personne de spiritualité a besoin d’un accompagnement compétent. La voie de la spiritualité, de la croissance dans l’intimité avec le Sauveur et avec Dieu est semée d’embûches (…). La communauté ecclésiale a reçu deux moyens de direction spirituelle. Le premier c’est la prédication. Basé sur le texte biblique et devenu, par le Saint-Esprit, Parole du Christ, le sermon inscrit dans les cœurs la signification de la Parole, encourageant les fidèles, les rassurant aussi, expliquant tel sentiment religieux, tel devoir spirituel …, mettant en évidence des possibilités de progresser et de s’approcher toujours plus de la perfection(…). La prédication peut être accompagnée de la célébration de la cène. En mettant l’accent sur la foi des communiants et sur l’action du Saint-Esprit, la spiritualité protestante la célèbre comme l’occasion d’une rencontre intense avec le Christ. Dans la communion s’accomplit la Parole du Christ selon laquelle les fidèles sont dans le Christ et le Christ en eux (Jean 14,20) : l’union est parfaite et elle se répercutera sur la vie quotidienne. A côté de la prédication et de la sainte cène, la direction spirituelle s’effectue au moyen de ce qu’on appelait naguère la cure d’âme, l’accompagnement individuel des fidèles, la pastorale au sens spécifique de ce terme. En tant que discipline théologique, la cure d’âme propose des démarches diverses pour rencontrer et assister les personnes qui se posent des questions de spiritualité ou qui se débattent dans des problèmes d’ordre psychique ou moral. (…) Le ministère de la cure d’âme et de la direction spirituelle n’est pas l’apanage des seuls pasteurs. Nombreux sont en effet dans les Eglises et les communautés protestantes les laïcs qui accomplissent cette tâche de façon féconde. Car la compétence en la matière ne découle pas automatiquement du rite, en soi bénéfique de la consécration pastorale. Elle résulte en premier lieu de la formation intérieure, de l’expérience et de la spiritualité personnelle de celui qui est jugé apte à conseiller et à diriger les autres. « 

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Individu et communauté : une tension féconde

Gounelle André, Conférence  » Individualisme et communauté  » publiée dans Itinéris Cahiers Socialistes Chrétiens 1982 8 p.12-18:

 » Mon intention est de montrer qu’il existe entre ces deux notions [individualisme et communauté] une étroite interdépendance, qu’elles s’appellent et s’impliquent mutuellement que l’une ne va pas sans l’autre. Ma thèse est que, loin de détruire ou d’affaiblir la communauté comme on le dit souvent, au contraire l’individualisme la sert, qu’il est un élément nécessaire à l’équilibre et à la bonne santé de tout groupe. C’est quand l’individualisme régresse ou recule que l’existence de la communauté est menacée et devient fragile. Je remarque, d’abord que l’individualisme met l’accent, avec beaucoup de force, sur la responsabilité personnelle. Il souligne que mes décisions et mes actions m’appartiennent, elles sont toujours miennes et m’engagent personnellement ; je dois les assumer et en répondre en tant qu’individu. Je n’ai pas à me conformer automatiquement aux opinions dominantes ; la communauté ne peut excuser ni justifier ce que je fais ou ce que je dis. Il me semble que par leur attitude, les individualistes rendent un très grand service à la communauté ; ils l’empêchent de tomber dans toute sorte d’abus, ils la préservent des excès qui la menacent, ils lui rappellent ses limites, et l’obligent à ne pas dépasser la mesure. Le danger qui menace tout groupe c’est l’autoritarisme et l’intolérance. L’individualisme est un garde-fou contre les exagérations, l’autoritarisme et la cruauté qui constituent la tentation permanente de tous les groupes. Je note, ensuite, que l’individualisme n’est pas toujours ni forcément condamné à l’inefficacité, loin de là. L’individualiste se sait et se veut personnellement responsable ; il refuse de se décharger de sa responsabilité sur les autres, ou sur le groupe. Il s’engage à fond dans ce qu’il estime devoir faire, et parfois parviendra à des résultats qu’une action collective n’atteindra pas parce que ralentie, entravée, bloquée par toutes sortes de mécanismes institutionnels. Si Albert Schweitzer avait été soumis aux autorités ecclésiastiques, s’il avait sollicité leur accord et leur aval avant d’agir, jamais il ne serait parti en Afrique. Ceci vaut également pour Henri Dunant, le fondateur de la Croix-rouge, pour Raoul Follereau, l’apôtre des lépreux et pour quantité d’autres. La communauté tend à reproduire toujours les mêmes modèles, à répéter sans cesse les mêmes types d’action, à maintenir ses méthodes de fonctionnement. La contestation individualiste la secoue, la réveille et l’oblige à se ressaisir, à s’adapter, à trouver de nouveaux comportements et de nouvelles actions. Il est bon que dans un groupe, il y ait des opposants qui critiquent, des hérétiques qui rêvent d’un autre style de vie… L’individualisme me semble ici nécessaire comme aiguillon. L’individualisme est une attitude fondamentalement liée à la démarche du Protestantisme. La Réforme est née parce qu’un homme seul , Martin Luther, a eu le courage, au nom de ses convictions intimes, de se lever contre les autorités civiles et religieuses de son époque, de rompre avec les communautés ecclésiastiques et politiques auxquelles il appartenait pour proclamer ce qu’il jugeait être la vérité. Cet acte typiquement individualiste a été efficace, puisque le Protestantisme en est sorti. Il n’a rien eu d’égoïste, car il a libéré spirituellement des millions de personnes. Il n’a pas isolé Martin Luther, mais a créé autour de lui et à partir de lui un immense mouvement. Par delà Luther et la Réforme, je crois qu’on peut à bon droit s’appuyer sur la Bible pour défendre la nécessité d’un certain individualisme… Il me semble donc être dans la droite ligne non seulement de la Réforme mais aussi de l’Evangile en affirmant qu’il n’appartient pas aux autorités ecclésiastiques, aussi respectables et bien intentionnées qu’elles soient, de me dire ce qu’il me faut croire, et ce qu’il me faut faire. Mes opinions, mes convictions, mes comportements sont l’affaire de ma conscience ; cette conscience pour un chrétien doit être formée dans la prière et par la lecture de la Bible, mais elle ne dépend de personne ; elle est directement responsable devant Dieu. La foi se nourrit de moments de solitude, en tête à tête avec Dieu, elle découvre ensuite les frères. Je suis persuadé que les Eglises chrétiennes en général, et les Eglises protestantes en particulier, seraient mieux inspirées et plus fidèles à elles-mêmes si elles insistaient moins sur l’appartenance de leurs membres à une communauté, et si elles se préoccupaient plus de former des personnalités capables de penser par elles-mêmes, de vivre leur foi dans une certaine solitude, et d’en témoigner individuellement. Elles n’affaibliraient pas ainsi la communauté, bien au contraire. Je sais parfaitement que l’individualisme présente aussi des dangers, et qu’il a ses limites. J’ai dit qu’une communauté qui exclut et interdit l’individualisme devient tyrannique et déshumanisante. Inversement, un individualisme dépourvu de tout sens communautaire serait anarchique et inhumain. Ma thèse est que l’attitude individualiste et l’esprit communautaire ont besoin l’un de l’autre, et que, loin de se détruire, ils se renforcent mutuellement. « 

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Le dévoiement individualiste du sacerdoce universel

Schlumberger Laurent, extrait de l’article  » Le sacerdoce universel au cœur de l’Eglise synodale  » Ministères, Eglise Réformée de France 2000 p. 73 s. :

 » L’inversion individualiste. L’idée du sacerdoce universel dit en substance : c’est en Jésus-Christ que nous nous tenons devant Dieu et dans le monde, les uns avec, pour et par les autres. Le principe du sacerdoce universel ne dit donc pas qu’il n’y a plus de prêtre mais comme son nom l’indique, il affirme qu’en Jésus-Christ, nous sommes tous prêtres. J’ai le sentiment que l’idée du sacerdoce universel à laquelle les protestants se réfèrent volontiers aujourd’hui, consciemment ou non, n’est pas tout à fait celle-là. D’ailleurs cette notion a connu des hauts, des bas et des évolutions depuis la Réforme. Elle fut rapidement mise sous le boisseau au 16e siècle, peut-être en raison de son côté trop novateur. Puis elle trouva une nouvelle jeunesse un siècle plus tard avec le mouvement piétiste, qui insista sur la spiritualité intérieure et personnelle, sur la vie chrétienne hors du culte, et qui imprima une marque fortement individualiste sur cette notion. Par la suite, les divers mouvements de « réveil » ont renforcé cette compréhension individualiste du sacerdoce universel, notamment en insistant sur la « nouvelle naissance ». Au bout du compte, le romantisme du 19e siècle et l’individualisme contemporain aidant, le sacerdoce universel est devenu une notion bien souvent comprise à l’inverse de ce qu’elle entendait signifier. Il a été comme retourné, inversé, devenant une sorte de justification théologique de l’individualisme religieux. Nous avons tendance à considérer que la foi est une affaire trop privée pour que quelqu’un s’y intéresse. Nous ne nous sentons ni la liberté, ni la responsabilité d’interpeller ou d’accompagner, de nous-mêmes, un frère ou une soeur dans sa vie spirituelle. Nous n’estimons n’avoir besoin de personne pour vivre le tête-à-tête avec Dieu et surtout pas d’une Eglise avec ses indéniables problèmes concrets, ses ministres trop humains, ses imperfections décevantes. Bonhoeffer écrivait : « Loin d’être superflu, le prêtre est extrêmement nécessaire. Il se tient devant Dieu pour tous les autres (…). Cette fonction revient à la communauté, c’est-à-dire à tous (…). Chacun a besoin de l’autre en tant que prêtre. » L’Evangile ne tombe pas directement du ciel, il vient toujours à travers des mots, des rencontres, des textes, des visages, bref à travers des médiations. Ces médiations ne sont pas le privilège d’une caste sacerdotale ; elles sont la mission commune de toute l’Eglise et la responsabilité de chaque chrétien. La Réforme avait brandi cette idée contre une séparation entre clercs et laïques ; mais lorsqu’il est retourné par l’individualisme, le sacerdoce universel devient la source d’une séparation toujours plus étanche entre sphère religieuse et sphère séculière. Nous croyons que la foi nous vient de l’extérieur et qu’elle est don de Dieu ; mais retournée par l’individualisme, le sacerdoce universel fait de la foi le fruit d’une introspection privée. Nous croyons que la foi ouvre à la responsabilité envers le prochain, dans l’Eglise comme hors d’elle ; mais retournée par l’individualisme, le sacerdoce universel la transforme en droit d’isolement. Nous croyons que le sacerdoce universel est une invitation à se laisser rencontrer par l’autre et à aller à sa rencontre ; mais retourné par l’individualisme, le sacerdoce universel devient le meilleur moyen d’éviter l’autre. Il nous faut retrouver le sens du sacerdoce universel ; non plus je n’ai besoin de personne pour vivre ma relation avec Dieu, mais je ne peux pas me passer de toi, ni toi de moi, pour vivre cette relation. On disait autrefois que les protestants étaient les « tutoyeurs de Dieu ». C’est une magnifique expression, pourvu qu’elle signifie l’intimité et non pas la solitude. Car que serait tutoyer Dieu, sans tutoyer l’autre et se laisser tutoyer par lui ? Quelle serait une intimité avec Dieu au prix de l’exclusion de l’autre ? Or, Dieu ne fait jamais l’économie de l’autre. Le chemin le plus court vers Dieu passe par l’autre et réciproquement. Le sacerdoce universel, c’est le contraire de la solitude devant Dieu. « 

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Pas uniformité et indistinction des fonctions

Leplay Michel, Foi et vie des Protestants Paris Desclée de Brouwer 1996 p.47-50 :

 » Leur affirmation renouvelée du sacerdoce universel des baptisés n’a jamais conduit les Réformateurs à un refus quelconque de toute forme de ministère dans l’Eglise. La différence importante voire décisive, par rapport aux traditions antérieures, portait et porte toujours sur la nature de ce ministère pour les théologiens protestants. Il n’est en effet jamais « sacerdotal », dans le sens réaffirmé par Vatican II notamment : « Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel hiérarchique qui ont entre eux une différence essentielle et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre » (Lumen Gentium, 10). Or, pour des luthériens ou calvinistes, aucun ministère ne doit prendre le risque de porter ombrage à la seule et unique médiation du Grand Prêtre. Les ministres dans cette perspective, seront serviteurs de l’Evangile, soit ordonnés à la prédication fidèle de l’Evangile et à l’administration correcte des sacrements. Mais leur ministère, fonction de service et de témoignage, n’est pas « essentiellement » différent des autres services chrétiens ; rien de sacré, et moins encore d’indélébile dans la confiance qui leur est faite et l’aptitude qui leur est reconnue. Pour Calvin, dont nous sommes encore largement bénéficiaires, les ministères utiles à l’Eglise sont de deux ordres : les ministères extraordinaires et temporaires, comme ceux des prophètes, apôtres et évangélistes bibliques, et les ministères permanents dits ordinaires. Calvin propose d’en retenir quatre, les pasteurs pour le service cultuel, la catéchèse, la communion entre les fidèles et leur témoignage, en collaboration avec les Anciens ou Conseillers presbytéraux élus, dont le collège constitue l’organe directeur de la paroisse. Les diacres prennent soin des pauvres et nécessiteux, isolés, malades, les docteurs, enfin, sont responsables de la recherche et de l’enseignement théologiques. Tout en gardant ces quatre ministère, les Eglises protestantes les ont diversifiés en fonction des missions actuelles (radio et TV, presse, aumônerie, catéchèse, etc.). Enfin, cette « ecclésiologie » est caractérisée par un souci d’équilibre et de correction mutuelle entre l’exercice personnel des ministères, leur caractère collégial et leur assise communautaire. Ainsi les « présidents », ayant une fonction de type épiscopal, l’assument avec les conseils dont ils sont les élus pour un mandat limité. Et tous ces ministères reconnus ou ordonnés, selon le vocabulaire liturgique employé, sont égaux entre eux et soumis à l’autorité des Synodes largement représentatifs de tous les fidèles. Le ministère pastoral, soumis parfois à des tentations de cléricalisation, est accessible depuis de nombreuses années à des femmes dont l’apport est très précieux ; mariés ou célibataires, les pasteurs sont actuellement en nombre suffisant. (…) La question du ministère dans l’Eglise, constitutive essentielle pour les uns seconde et fonctionnelle pour les protestants, reste un point délicat, sinon central dans nos relations oecuméniques et pour la reconnaissance mutuelle dans l’hospitalité eucharistique. « 

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Le culte protestant

Birmelé André article  » Eglise  » in : Encyclopédie du Protestantisme Cerf/ Labor et Fides Paris / Genève 1995 p.487

 » En comprenant l’Eglise comme communion des croyants fondés dans et par la Parole de Dieu, les familles chrétiennes se référant à la Réforme du 16e siècle décrivent, de la manière la plus succincte possible, le fondement et l’être de l’Eglise. Cette Eglise correspond à Dieu. Le verbe « correspondre » a un double sens, il signifie à la fois être conforme à et répondre ensemble. En rassemblant les êtres humains dans leur altérité (races, sexes, nations, personnalités), en les unissant en une communauté des saints et en les construisant en Eglise sur le fondement posé par la mort et la résurrection de Jésus, l’Esprit saint fait correspondre ces humains à l’être même de Dieu, à la communion trinitaire dans l’altérité qui est en Dieu lui-même. Sous la forme de l’Eglise, Dieu se crée sur terre une correspondance humaine de son propre être. Cette correspondance advient dans l’évènement du culte, le moment où la Parole de Dieu célébrée dans l’annonce de l’Evangile et les sacrements éveille les humains à la foi, les rend justes devant Dieu et les assemble dans la communion des saints. Cette Eglise n’est pas centrée sur elle-même, mais vit de manière excentrée de cette Parole incarnée en Christ qu’elle ne possède pas, qui lui demeure toujours extérieure mais qui la fait correspondre à son être véritable. Dans le culte, la communauté des croyants correspond avec son Seigneur par la louange. La communauté n’est pas inactive. Elle célèbre Dieu. Elle écoute, prêche, prie, confesse, témoigne, chante et fête. Mais (…) l’action communautaire est fondamentalement réceptive, caractérisée par une passivité créatrice et non par une « bonne oeuvre » par laquelle elle voudrait faire du bien à Dieu. Elle se laisse au contraire faire du bien par Dieu qui lui donne tout dans sa Parole. La réponse de la communauté (…) est louange une action gratuite par laquelle elle ne cherche pas à obtenir quelque chose. Elle a tout obtenu. Elle est peuple de Dieu. Dans l’événement de la croix et de la résurrection de Jésus-Christ, « tout est accompli » (Jean 19,30). Ce moment du culte, dans le sens large du terme qui inclut tous les instants de la vie d’Eglise où la Parole de Dieu advient, est le moment où l’Eglise est réalisée dans le temps. Le passé et l’avenir de Jésus-Christ deviennent présents. Le culte raconte l’histoire de Dieu (anamnèse), il fait participer les êtres humains à cette histoire, histoire de Dieu qui devient leur histoire. « 

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Un sujet de controverse
  • Les ordres monastiques furent l’objet d’une remise en cause fondamentale lors de la Réforme. C’est essentiellement au nom des principes du salut par la grâce seule (et non par les  » mérites  » d’une vie religieuse) et du sacerdoce universel (pas de différences d’état entre tous les baptisés, tous prêtres) que la Réforme s’est opposée aux vœux monastiques et à la vie religieuse. On peut trouver l’essentiel des critiques des Réformateurs, pour Luther, dans  » Jugement de Martin Luther sur les vœux monastiques « , t.III des Œuvres en français, pp.79-219, et pour Calvin dans l’Institution de la religion chrétienne, IV, XIII,  » Des vœux, comme ils ont été faits à la volée en la papauté pour enlacer misérablement les âmes « .
     » Les vœux seront critiqués par la Réforme pour les raisons suivantes :
    1) Luther n’y voit aucun fondement scripturaire
    2) prononcer des vœux, c’est se remettre sous la Loi et donc prendre un autre chemin que le Christ ;
    3) le changement de nom lors des vœux est une remise en cause du caractère unique du baptême
    4) les vœux seraient méritoires et donc salvifiques
    5) ils établissent une hiérarchie entre les chrétiens. Globalement, les vœux et le fait monastique nourrissent un imaginaire -idéal de pureté- qui paraît contraire à l’Evangile.  » (Antoine Reymond)

  • Favorable à ce mouvement communautaire, le pasteur baptiste Louis Schweitzer écrit :  » La situation actuelle est paradoxale. Les communautés monastiques existent, sont reconnues à cause de la qualité de leur présence spirituelle, mais sans avoir une place théologiquement claire au sein du protestantisme. De plus en plus une distinction est faite entre les critiques justifiés de la Réforme et l’essence de la dimension monastique. Il ne saurait être question pour les membres de ces communautés de se poser en chrétiens  » supérieurs « . On envisage plus facilement que par le passé la possibilité d’une vocation au célibat qui peut avoir son fondement dans les Evangiles (Matthieu 19,10-12) ou chez l’apôtre Paul (1Corinthiens 7). Enfin, dans notre monde trépidant, l’existence de lieux d’accueil liés à des communautés, la possibilité de retraites qui permettent de se retrouver et la présence de personnes plus spécifiquement engagées dans la prière et l’accompagnement deviennent pour beaucoup, une nécessité vitale. « 

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Renouveau charismatique

Willaime Jean-Paul, article  » Charismatique  » in : Encyclopédie du Protestantisme Cerf/ Labor et Fides Paris / Genève 1995 p.207-208 :

 » L’histoire du christianisme, des origines à nos jours, est traversée de manifestations d’enthousiasmes religieux et d’effervescences communautaires qui ont voulu secouer la torpeur du christianisme institutionnel et réveiller les Eglises, en visibilisant les signes de la manifestation de la grâce à travers la transformation radicale des personnes et la réalisation d’actes spectaculaires (en particulier des guérisons). Ce christianisme émotionnel a revêtu différentes formes au cours des siècles, le montanisme au début de l’ère chrétienne, les Schwärmer (enthousiastes) à l’époque de la Réforme (…), le réveil méthodiste au 18e siècle, les Réveils pentecôtistes du début du 20e siècle dans le Kansas et au Pays de Galles. Ces derniers Réveils sont à l’origine de ce qu’on appelle le pentecôtisme historique, mouvement qui s’est fortement développé au cours du 20e siècle dans divers continents (notamment en Amérique latine). Les pentecôtistes considèrent qu’il faut, pour être pleinement sanctifié et rendre témoignage, être baptisé du Saint-Esprit ; c’est ce qui permet aussi de faire l’expérience des dons spirituels (charismes) mentionnés en 1Corinthiens 12 : la glossolalie, le don des langues, les dons de prophétie, d’interprétation, de guérison. Ce qu’on appelle depuis le début des années soixante-dix, le renouveau charismatique ou le mouvement charismatique, reprend incontestablement de nombreux éléments de la spiritualité pentecôtiste. Mais, tout en insistant comme le pentecôtisme sur l’expérience du Saint-Esprit et sur les dons spirituels, le renouveau charismatique se déploie à l’intérieur des Eglises catholiques et protestantes, contrairement au pentecôtisme qui a formé des groupements indépendants (comme les Assemblées de Dieu). On a pu parler au sujet du renouveau de néo-pentecôtisme. (…) La sensibilité charismatique insiste sur la conversion personnelle et sur l’immédiateté de l’action divine : Dieu est proche et peut intervenir ici-bas si l’on se laisse envahir par l’Esprit. Ce type de sensibilité génère des chefs spirituels dont la légitimité est reconnue à travers les charismes qu’ils manifestent. « 

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