Dietrich Bonhoeffer - Aller plus loin
Le paragraphe aryen fait partie d’une loi promulguée le 7 avril 1933, intitulée » Loi en vue de la restauration des fonctionnaires de carrière » (Gesetz zur Wiederherstellung des Berufsbeamtentums). Ce sont les paragraphes 3 et 4 qui ont suscité de la critique. Le paragraphe 3 stipule que » des fonctionnaires qui ne seraient pas d’origine aryenne sont à mettre à la retraite « . Sont considérés comme exception à la règle » tous ceux qui ont été fonctionnaires depuis le 1er août 1914 ou qui pendant la Guerre mondiale ont combattu au front pour le Reich ou ses Alliés, ou bien dont les pères ou fils sont morts à la Guerre Mondiale « .
Souvent, le paragraphe 4 a » suppléé » au précédent. En effet, on y réclame la destitution de tous » les fonctionnaires qui, vues leurs activités politiques, n’offrent pas la pleine garantie de s’engager en tout temps et sans retenue pour l’Etat politique « .
Reymond Bernard,
» Les inflexions de ce discours sur l’invisibilité n’en peuvent pas moins être riches d’ambiguïtés et confiner parfois au discours-alibi : on en viendra par exemple à tellement relativiser l’Eglise visible pour mieux excuser ses faiblesses ou ses défauts qu’elle en perdra toute crédibilité ; ou bien on la rendra si secondaire qu’on se demandera à bon droit si elle n’est pas superflue, voire carrément inutile ; ou encore ce discours servira à travestir une telle démobilisation des fidèles sur le plan de la visibilité que l’Eglise en perd tout profil, toute consistance, toute possibilité d’affirmer e qu’elle est et ce dont elle vie, toute capacité de résister aux tentatives de mise au pas dont elle peut être l’objet.
Ce qui s’est passé à ce propos au moment du Kirchenkampf allemand est riche d’enseignements. Devant les exigences idéologiques du pouvoir totalitaire, l’une des grandes tentations des chrétiens fut de dissimuler leurs convictions réelles, parfois même leur appartenance à l’Eglise, en d’autres termes de se réfugier dans l’invisibilité. Aussi l’un des grands soucis de Karl Barth, de Dietrich Bonhoeffer et de l’Eglise confessante fut-il d’insister sur la nécessaire visibilité de l’Eglise, seul moyen pour elle, c’est-à-dire pour ses fidèles et ses pasteurs, d’assumer jusqu’au bout le témoignage que Dieu et le monde sont en droit d’attendre d’eux. »
On peut citer à ce propos un texte de Bonhoeffer:
» L’invisibilité de l’Eglise nous tue… Cette manière absurde d’être sans cesse renvoyé au Dieu invisible lui-même, voilà ce que personne ne peut plus supporter « .
La théologie libérale emprunte ses méthodes aux sciences sociales et a ses racines dans l’humanisme des Lumières. Elle insiste tout naturellement sur la doctrine du libre arbitre de l’être humain, sa raison, et sa capacité à progresser dans tous les domaines, que ce soit la religion, la science, la politique, etc. L’approche théologique s’appuie sur l’intuition et le sentiment humains. Friedrich Schleiermacher (1768-1834), considéré comme le » père de la théologie libérale « , décrit la religion comme le » sentiment d’une dépendance absolue « . Pour lui, la théologie s’appuie davantage sur une expérience religieuse intérieure que sur une vérité théologique extérieure. Dans son livre, De la religion, discours à ceux de ses contempteurs qui sont des esprits cultivés (1799), il dit en substance à ces » contempteurs » : » Vous croyez n’être pas religieux, mais par ignorance de ce qu’est la vraie religion ; car la religion n’est pas un savoir, ni une morale ; elle est conscience immédiate et intuitive de l’infini, de la dépendance absolue de l’homme par rapport à l’infini de Dieu ; vous voici donc plus réellement religieux que vous n’imaginiez l’être. » L’essence de la religion est ainsi non pas une révélation en dehors du soi, mais un sentiment ressenti dans le soi.
Le théologien suisse Karl Barth (1886-1968) en est l’une des grandes figures. Dieu y est présenté comme le » Tout-Autre « . Lui seul est Dieu, radicalement différent de l’être humain qui ne peut par lui-même avoir accès à Lui. Mais ce que l’homme ne peut atteindre par sa propre démarche, par ses propres forces, par lui-même, Dieu le lui offre par sa Parole. Par elle, Dieu se révèle, se rend proche de l’humain, se met à sa portée. Cette Parole prononcée en Jésus-Christ sur l’humanité est un » oui « , malgré le » non » du mal et du péché. C’est de cette tension entre ce » oui » et ce » non » que rend compte la théologie dite » dialectique « . Elle se construit donc dans une tension jamais résolue entre la promesse de Dieu et la faiblesse humaine. » Dans la résurrection, le monde nouveau de l’Esprit Saint touche le monde ancien de la chair. Cependant il le touche -comme la tangente un cercle-, sans le toucher ; et tout en ne le touchant pas, il le touche comme étant le monde nouveau « . (Karl Barth) On dit de la théologie dialectique qu’elle est une théologie de la crise (étymologiquement, crise veut dire » jugement « ) car la révélation de Dieu en Christ met en jugement l’humanité, qui ne peut recevoir son salut que d’un Autre qu’elle-même. On voit en quoi la théologie dialectique s’oppose à la théologie libérale qui insiste au contraire sur la capacité propre de l’homme à progresser dans tous les domaines, et à s’approcher de Dieu.
Bonhoeffer vient à envisager l’assassinat d’Hitler pour empêcher que ne survienne un plus grand mal. Il livre ses pensées dans son ouvrage
p.195 : » La nécessité extraordinaire fait appel à la liberté des hommes responsables. Il n’y a aucune légalité derrière laquelle ils pourraient s’abriter. Rien ne peut par conséquent, face à une telle nécessité, leur imposer telle ou telle décision. Ils ne peuvent ici que renoncer à toute loi, sachant que la libre décision qu’ils sont appelés à prendre comporte des risques, et avouant qu’ils enfreignent la loi, que c’est la nécessité qui fait loi, tout en reconnaissant dans cette violation même la validité de la loi ; c’est par le seul renoncement à la légalité, que le responsable abandonne sa décision et ses actes à la direction divine de l’histoire.
A la question de savoir si, dans l’action historique, c’est la loi éternelle ou la libre responsabilité devant la loi et la soumission à Dieu seul qui constituent la réalité dernière, aucune réponse théorique n’est possible. De grands peuples y répondent de façons irrémédiablement opposées. La grandeur des politiciens anglais -je pense à Gladstone par exemple – consiste à accorder l’autorité suprême à la loi, celle des politiciens allemands – je pense à Bismarck- de prendre librement leurs responsabilités devant Dieu. Personne ne peut prétendre ici avoir raison. La question dernière reste ouverte et doit le rester. Celui qui est lié à la loi comme celui qui prend librement ses responsabilités devra écouter l’accusation de son adversaire et y faire droit. Personne ne pourra être le juge de son semblable. Le jugement appartient à Dieu. »
Et encore, un peu plus loin, p.203 :
» Le responsable agit dans la liberté de sa personne, sans se mettre à l’abri de ses semblables, des circonstances ou de certains principes, mais en tenant compte des données humaines et générales. Le fait que rien ne pourra le défendre ni le décharger, si ce n’est ses actes et lui-même, est la preuve même de sa liberté. C’est lui seul qui devra observer, juger, peser, décider, agir ; lui seul devra examiner les motifs, les chances de réussite, la valeur et le sens de son action. Mais ni la pureté de la motivation, ni les conditions favorables, ni la valeur, ni le choix judicieux de l’action projetée ne pourra devenir la règle derrière laquelle il pourrait se retrancher, et qui pourrait le disculper et l’acquitter. Car alors il ne serait plus réellement libre. L’action du responsable s’accomplit dans l’engagement, qui seul le libère totalement, vis-à-vis de Dieu et du prochain tels qu’il les rencontre en Jésus-Christ ; elle se déroule entièrement dans la sphère de la relativité, dans le demi-jour dont la situation historique entoure le bien et le mal, au milieu des aspects innombrables dont se revêt chaque donnée. Elle n’aura pas à se décider simplement pour le droit contre l’injustice, pour le bien contre le mal, mais elle tranchera entre le droit et le droit, entre l’injustice et l’injustice. « Le droit combat le droit » disait Eschyle. C’est en cela précisément que l’action responsable constitue un risque libre ; elle n’est justifiée par aucune loi ; elle renonce à toute auto-justification valable, à sa connaissance dernière du bien et du mal. Le bien en tant qu’acte responsable s’accomplit dans l’ignorance du bien, dans l’abandon de l’acte nécessaire, et pourtant libre, à Dieu qui regarde les cœurs, pèse les actes et dirige l’histoire. «
Au moment de prendre la décision de rester aux Etats-Unis ou de rentrer en Allemagne, Bonhoeffer confie à son journal :
» 19.6.[1939] Tout le long du jour, pas de nouvelles d’Allemagne ; attente en vain de courrier en courrier. Rien ne sert de se fâcher… Je veux savoir ce que devient le travail là-bas, si tout va bien, ou si l’on a besoin de moi. Pour l’entretien prévu demain [avec le pasteur Leiper qui devait lui présenter le travail qu’on lui proposait aux Etats-Unis], il me faut un signe venu de là-bas. Peut-être est-ce un bien qu’il ne soit pas venu.
Visite chez Leiper. Maintenant la décision est heureusement tombée. J’ai refusé. On a été manifestement déçu, et même un peu chagriné. Pour moi, cela représente sans doute plus que ce que je suis capable d’envisager sur le moment. Dieu seul le sait. C’est remarquable, pour chacune de mes décisions je ne suis jamais parfaitement au clair sur mes motifs. Est-ce un signe d’ambiguïté, de manque d’honnêteté avec moi-même ; ou est-ce le signe comme quoi nous sommes conduits bien au-delà de ce que nous savons -ou alors est-ce l’un et l’autre ? Le mot d’ordre biblique est aujourd’hui d’une terrible dureté : il porte sur le jugement absolument droit de Dieu. Lui voit sûrement tout ce qui se cache de personnel, tout ce qu’il y a de peur dans une décision comme celle d’aujourd’hui, si courageuse puisse-t-elle paraître. Les motifs d’une action qu’on allègue devant autrui et devant soi-même ne disent pas tout. Car tout peut se justifier. »
Et un peu plus tard, il écrit : » Avec Dieu, cela ne se passe pas séance tenante, on parcourt un chemin. On va de l’avant, ou alors on n’est pas avec Dieu. Dieu connaît le chemin en son entier, nous connaissons seulement le prochain pas à faire – et la destination ultime… De connaître le chemin, d’être sur le bon chemin, ne rend jamais la responsabilité et la faute plus légères mais plus lourdes. Les enfants de Dieu ne jouissent pas de droits spéciaux, sauf d’un : avoir connaissance de la grâce et du chemin de Dieu…
Je peux périr avec mes décisions et mes voies les plus pieuses, mais jamais avec le commandement de Dieu. Ce n’est pas ma piété, c’est Dieu seul qui me préserve de la confusion et de la honte.
Ce que Dieu vise avec nous, c’est la vie. Quand elle devient moyen pour la fin, la vie devient contradictoire, et cette contradiction fait d’elle un supplice. On cherche la fin, le bien, au-delà de la vie : au prix d’une négation de la vie. Tel est l’état dans lequel nous sommes établis avant de recevoir la vie en Dieu, et nous avons appris à appeler bon cet état. Nous en sommes venus à tenir la vie en haine et en mépris, et à réserver aux idées notre amour et notre adoration. Je dois moi aussi me demander : et si je vivais tellement de la charpente de mes propres principes que si Dieu me retirait un jour son commandement vivant, peut-être je ne le ressentirais même plus ? Peut-être agirais-je alors comme toujours en fidélité à mes principes, mais le commandement de Dieu serait loin de moi. »
Bonhoeffer Dietrich
Extrait de
» Pour ce qui est de la rédaction proprement dite des thèses, rappelons que le 16 mai 1934, un comité préparatoire se réunit à l’hôtel Basel à Francfort. Il est composé du réformé K.Barth, du luthérien H.Asmussen et du représentant des Eglises Unies Th. Breit. La déclaration humoristique de K.Barth : » L’Eglise luthérienne a dormi et l’Eglise réformée a veillé » comporte un fond de vérité. En effet, le théologien bâlois raconte dans ses souvenirs qu’il rédigea les thèses pendant la sieste de ses compagnons : » J’ai rédigé le texte des six propositions, muni d’un café noir et d’un ou deux cigares brésiliens « . Lors du Synode, aux côtés du comité préparatoire, nous trouvons comme responsables : les pasteurs M.Niemöller, K.Immer, W.Niesel, le Pr H.Sasse, ainsi que trois juristes W.Fiedler, W.Flor et H.Mienzolt. 139 délégués participent à ce Synode ; parmi eux on dénombre 54 laïcs dont une seule femme ! Ces délégués représentent 18 Eglises reflétant la diversité confessionnelle du protestantisme allemand qui se compose de Luthériens, de Réformés et de membres de l’Eglise unie. Le Dr K.Koch dirige les débats qui précèdent l’acceptation de la déclaration théologique. Le discours introductif de H.Asmussen a largement contribué à l’acceptation des six thèses. Ces dernières furent ratifiées à l’unanimité. «
Quand Bonhoeffer rentre finalement en Allemagne, il laisse à l’un de ses amis la lettre suivante : » Assis ici dans le jardin du Dr Coffin, j’ai eu le temps de penser et de prier à propos de ma situation, de celle de mon pays et de voir la volonté de Dieu pour moi plus clairement. Je suis arrivé à la conclusion que j’ai commis une erreur en venant en Amérique. Je dois traverser cette période difficile de notre histoire nationale avec le peuple chrétien d’Allemagne. Je n’aurai pas le droit de participer à la reconstruction de la vie chrétienne en Allemagne après la guerre, si je ne prends pas part aux épreuves de ce temps avec mon peuple. Mes frères dans le synode confessant ont voulu que je vienne. Ils peuvent avoir eu raison en me poussant à agir ainsi, mais j’ai eu tort en venant. De telles décisions, chacun doit les prendre pour lui-même. Les chrétiens en Allemagne vont se trouver confrontés à la terrible alternative : ou vouloir la défaite de leur nation, afin que la civilisation chrétienne puisse survivre, ou vouloir la victoire de leur nation et par ce fait même la destruction de notre civilisation. Je sais quel doit être mon choix ; mais je ne puis pas le faire en sécurité « .
Bonhoeffer Dietrich
Extrait d’une prédication du 21 janvier 1934 :
» Non, Jérémie n’a pas intrigué pour devenir prophète… Il s’en est même défendu, il voulait s’y dérober, mais dans sa fuite, la parole, l’appel l’a rattrapé et l’a saisi. Il ne peut plus s’y soustraire. On l’a traité de fantasque, de tête dure, de perturbateur, d’ennemi de son peuple ; on l’a insulté ; de tout temps et jusqu’à nos jours, on a insulté ceux qui sont possédés de Dieu et saisis par Lui, ceux pour qui Dieu est devenu une trop grande force… Seigneur, tu m’as persuadé et je me suis laissé convaincre… tu m’as saisi comme un ingénu – et je ne suis plus à même de m’en dessaisir – ; à présent tu m’entraînes comme ta proie, tu nous attaches à ton char de la victoire, et tu nous traînes à ta suite, pour que nous assistions, torturés et martyrisés, à ton cortège triomphal. Pouvions-nous savoir que ton amour fasse tant souffrir et que ta grâce soit si dure ?… Tu m’as associé à Toi pour le meilleur et pour le pire. Dieu, pourquoi nous es-Tu si terriblement proche ? «
Lettre adressée au professeur Joßmann à Boston :
» Comme j’ai entendu, vous avez su que nous avons subi beaucoup de malheurs et que nous avons perdu par la Gestapo deux de nos fils (Dietrich, le théologien et Klaus, le …) et deux beaux-fils (le professeur Schleicher et Dohnanyi). Vous pouvez imaginer que cela ne s’est pas passé sans laisser de traces chez nous, des vieilles personnes. Toutes ces années, nous étions pressés par le souci pour les emprisonnés et ceux qui ne l’étaient pas encore, mais qui étaient menacés de l’être. Mais comme nous étions tous d’accord en ce qui concerne la nécessité de devoir agir, et que mes fils étaient bien conscients de ce qui les attendait si jamais le complot [contre Hitler] échouait et qu’ils avaient fini avec leur vie, nous sommes certes tristes, mais aussi fiers de leur droite attitude. «
La Confession de péché de Stuttgart, ou: Déclaration du Conseil de l’Eglise protestante en Allemagne face aux représentants du Conseil œcuménique des Eglises le 19 octobre 1945:
» Lors de sa session du 18 et 19 octobre 1945 à Stuttgart, le Conseil de l’Eglise protestante en Allemagne salue des représentants du Conseil œcuménique des Eglises. Nous sommes d’autant plus reconnaissants de cette visite que nous nous savons non seulement en communion de souffrance avec notre peuple, mais dans une solidarité de culpabilité. Avec grande douleur, nous déclarons : Par nous est venu une souffrance sans nom sur beaucoup de peuples et de pays. Ce dont nous avons souvent témoigné auprès de nos paroisses, nous le disons maintenant au nom de toute l’Eglise : Nous avons bien durant ces longues années combattu au nom de Jésus Christ l’esprit qui a trouvé dans le régime totalitaire national-socialiste son expression effroyable ; mais nous nous accusons de ce que nous n’avons pas témoigné plus courageusement, prié plus fidèlement, cru plus joyeusement et aimé plus ardemment.
Maintenant, un nouveau commencement doit être fait dans nos Eglises. Fondées sur l’Ecriture Sainte, avec tout le sérieux possible dirigées vers le Seigneur saint de l’Eglise, elles entreprennent de se purifier d’influences étrangères à la foi et de s’organiser. Nous espérons dans le Dieu de la grâce et de la miséricorde, qu’Il puisse utiliser nos Eglises comme outil et qu’Il leur donne mandat d’annoncer Sa Parole et de susciter l’obéissance à Sa Volonté, chez nous et tout notre peuple. Que dans cette entreprise de nouveau départ nous puissions nous savoir chaleureusement liés aux autres Eglises de la communion œcuménique nous remplit d’une joie profonde.
En Dieu nous espérons qu’à travers le service commun des Eglises, l’esprit de la violence et de la vengeance -devenant à nouveau puissant aujourd’hui- soit réprimé et que l’esprit de la paix et de l’amour vienne à régner, le seul dans lequel l’humanité tourmentée trouve sa guérison. Ainsi nous prions dans une heure où le monde entier a besoin d’un nouveau départ :
Déclaration signée par :
Evêque régional D. Theophil Wurm
Evêque régional D. Hans Meiser
Evêque D. Dr. Otto Dibelius
Surintendant Hugo Hahn
Pasteur Hans Asmussen D.D.
Pasteur Martin Niemöller D.D.
Président du consistoire suprême régional Dr. Hanns Lilje
Surintendant Heinrich Held
Pasteur Lic. Wilhelm Niesel
Dr. Dr. Gustav Heinemann.
Bonhoeffer s’est posé à multiples reprises la question : » Comment parler de Dieu ? » La manière d’agir des Eglises entre 1933 et 1945 avait selon lui discrédité le langage religieux. Plus globalement, Bonhoeffer en vient à refuser la tendance à loger Dieu dans les failles de la science, dans les difficultés, en en faisant une sorte de » bouche-trou « . Le thème d’un christianisme non religieux apparaît dans la lettre du 30 avril 1944. Il écrit :
» La question de savoir ce qu’est le christianisme et qui est le Christ, pour nous aujourd’hui, me préoccupe constamment. Le temps où l’on pouvait tout dire aux hommes, par des paroles théologiques ou pieuses, est passé, comme le temps de la spiritualité et de la conscience, c’est-à-dire le temps de la religion en général. Nous allons au-devant d’une époque totalement irréligieuse [tiefe Diesseitigkeit] ; tels qu’ils sont, les hommes ne peuvent tout simplement plus être religieux ; ceux-là mêmes qui se déclarent honnêtement religieux ne pratiquent nullement leur religion ; ils entendent donc probablement ce terme même tout différemment. Toute notre révélation et notre théologie chrétiennes, vieilles de dix-neuf cents ans, reposent sur « l’a priori » religieux des hommes. Le « christianisme » a toujours été une forme de la religion (peut-être la vraie). Or, si l’on découvre un jour que cet a priori n’existe pas, mais qu’il fut une forme d’expression de l’homme dépendante de l’histoire et périssable, si donc les hommes deviennent radicalement irréligieux – et je crois que c’est déjà plus ou moins le cas (d’où vient par exemple que cette guerre, contrairement à toutes les autres, ne provoque pas de réaction religieuse ?) – que signifie alors cette situation pour le christianisme ? […]
Pleins de zèle ou indignés, allons-nous, comme des fanatiques, nous précipiter sur ce groupe d’hommes douteux afin d’écouler chez eux notre marchandise ? Allons nous foncer sur quelques malheureux dans leurs moments de faiblesse et les violer religieusement, pour ainsi dire ? […] Les questions auxquelles il faudrait répondre sont celles-ci : Que signifient une Eglise, une paroisse, une prédication, une liturgie, une vie chrétienne, dans un monde sans religion ? Commet parler de Dieu sans religion, c’est-à-dire sans le donné préalable et contingent de la métaphysique, de la spiritualité, etc. ? Comment parler (ou peut-être ne peut-on plus en parler comme jusqu’ici ?) de Dieu « laïquement » ? Comment être des chrétiens irréligieux et profanes ? Comment former une ekklèsia, sans nous considérer comme des appelés, des privilégiés sur le plan spirituel, mais bien plutôt comme appartenant pleinement au monde ? » Extrait de Dietrich Bonhoeffer Résistance et soumission. Lettres et notes de captivité (traduction E.Bethge) Genève Labor et Fides 1951 (lettre du 30 avril 1944).
Dans la lettre du 16 juillet 1944, il poursuit :
» Nous ne pouvons être honnêtes sans reconnaître qu’il nous faut vivre dans le monde etsi deus non daretur [comme s’il n’y avait pas de Dieu]. Et cela justement, nous le reconnaissons – devant Dieu. Dieu lui-même nous oblige à admettre cela. Ainsi, le fait de devenir majeurs nous amène à reconnaître de manière plus authentique quelle est notre situation devant Dieu. Dieu nous donne à savoir qu’il nous faut vivre comme des gens qui y arrivent tout seuls dans la vie, sans Dieu. Le Dieu qui est avec nous est le Dieu qui nous abandonne (Marc 15,34) ! Le Dieu qui nous laisse vivre dans le monde sans l’hypothèse de travail Dieu, est le Dieu devant qui nous nous tenons constamment. Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse repousser du monde et mettre en croix, Dieu est impuissant et faible dans le monde, et c’est ainsi, et ainsi, seulement, qu’il est avec nous et qu’il nous aide. »
Bonhoeffer Dietrich
Extrait de
Berlin-Tegel, le 23 avril 1944
» Ma Maria bien-aimée,
Depuis minuit, je fête ton vingtième anniversaire. Je me suis réveillé juste au moment où l’horloge de la prison a sonné les douze coups. Maintenant le matin est là, et j’aimerais tant être auprès de toi. Quels chants entonne-t-on en ce moment devant ta porte ? Pourras-tu malgré tout les écouter avec joie et bonheur ? Je te le souhaite tant. Vous lirez ensuite les versets bibliques du jour , également devant moi en ce moment : « prier » et « suivre le Christ », les deux vont ensemble. L’un n’existe pas sans l’autre, prier avec confiance et le suivre ne se soumettant à sa volonté, c’est le contenu de toute une vie. La question secrète de notre avenir personnel, avec laquelle nous abordons parfois de manière superstitieuse les versets bibliques du jour, reste totalement sans réponse. C’est dur, mais il est bon qu’il en soit ainsi. Cela nous permet de nous abandonner à Dieu – que ce mot « s’abandonner » est beau, se quitter soi-même, pour trouver son enracinement en Dieu. Et si nous suivons le Christ, notre avenir ne peut être que bon. Maria bien-aimée, nous devons croire aujourd’hui avec joie, pour être pleinement ensemble.
Ta visite, mardi, a été belle, très belle, comme toujours quand tu es ici. Mais, dis-moi, étais-tu triste pour une raison particulière ? Ou est-ce que je me le suis imaginé, parce que je trouvais tellement dur de devoir te dire qu’il nous faut encore une fois recommencer à attendre ? Oui, je sais, le fardeau que je pose sur tes épaules est trop, beaucoup trop lourd, mais puis-je, dois-je douter un seul instant, que ce ne soit pas trop pour toi, que tu attends avec moi, non par pitié, mais simplement parce que nous savons que nous nous appartenons l’un à l’autre et que l’un ne peut rien subir que l’autre ne partage ? Quelle autre signification pourrait avoir cette appartenance réciproque, sinon que nous partageons tout ? Maria, n’était-ce pas là notre intention ? Jusqu’à présent, le poids est tombé sur toi seule, mais maintenant il nous est devenu commun, n’est-ce pas ? Permets-moi de te remercier de tout mon cœur à l’occasion de ton anniversaire d’avoir été à mes côtés pendant toute cette année, d’avoir tout partagé avec moi dans la mesure où la distance le rendait possible. Permets-moi de te demander pardon d’avoir parfois, peut-être inutilement, alourdi ton fardeau. Espérons en l’heure où nous partagerons tout, non seulement en pensées, mais aussi dans la réalité.
Cette lettre prend encore une fois un chemin inhabituel parce que je veux que tu la reçoives vite. Ce ne sera pas possible très souvent. Ma mère m’a raconté hier qu’elle t’a envoyé l’image de l’apôtre Pierre. J’en ai été très content. Je n’aurais pas pu te l’expédier moi-même. Quelques-uns de tes primevères sont encore en fleurs sur ma table. Mes parents aimeraient bien aller vous voir une fois au mois de mai. Cela me fait plaisir, ainsi que tu échanges à l’occasion des lettres avec Eberhard [Bethge] ; c’est vraiment très gentil et amical de sa part de t’avoir écrit pour le 5 avril. […]
Maintenant , Maria, toi mon amour, laisse-moi te prendre dans mes bras et t’embrasser de tout mon cœur et t’aimer toujours plus.
Ton Dietrich.
[le 25 avril 1944, Maria et Dietrich se sont vus au parloir de la prison]
Bundorf, le 26 avril 1944
Mon Dietrich bien-aimé !
Quelle magnifique surprise, quand je suis arrivée dans ma chambre, après un voyage plus que médiocre et une marche fatigante, de découvrir au milieu de la table ta longue et affectueuse lettre d’anniversaire ! Tout d’un coup, j’ai été éveillée, gaie et joyeuse ; l’heure de notre rencontre était à nouveau présente et un bouquet de pensées reconnaissantes vola vite en retour vers toi à Berlin. On ne peut absolument pas répondre à une telle lettre. On ne peut que la lire et la relire et en tirer du bonheur.
Tu aurais dû me dire que tu désirais une photo de moi le jour de mon anniversaire. Même si je prétends pouvoir parfois deviner les vœux des autres dans leur regard, je suis incapable de les lire dans leurs pensées. Tu en auras une, mais il te faudra attendre quelque temps, parce que je n’ai pas la possibilité d’en faire ici. Tu m’as trouvée triste, quand je t’ai rendu visite en allant chez moi. Pardonne-moi, je ne le voulais certainement pas. Car il n’y a vraiment pas de raison d’être triste quand je suis assise à côté de toi. C’est une ingratitude de ma part de ne pas être tout à fait reconnaissante et heureuse.
Tu aimerais que je te raconte notre Semaine Sainte. Je pense maintenant que je n’aurais pas dû t’en parler. Cela ne fait que t’inquiéter et tu as alors plus de mal encore à supporter notre séparation. Je ne voulais pas te cacher quelque chose sous prétexte que tu pourrais ne pas aimer l’entendre, mais parce que mes impressions personnelles sont si incertaines que je ne peux encore rien en dire. A la maison, je n’en ai pas encore parlé non plus. Vois-tu, c’est d’une part entré en moi, mais d’autre part je n’ai pas encore été capable de m’y adapter, de me l’approprier. Comment pourrais-je alors t’écrire à ce propos ? Mais je suis trop la fille de mon père pour passer sans m’arrêter devant des cultes de ce genre. Il est écrit quelque part dans la Bible que l’on doit participer avec « son coeur et ses reins ». On peut bien participer à un culte protestant avec tout son sœur. Mais je trouve absurde qu’on laisse le reste de sa personne froidement devant la porte de l’église. Cela vient peut-être d’une incapacité personnelle, mais en ces journées de Pâques, j’ai senti, pour la première fois, que l’on doit être vraiment présent avec tout son être, que l’on ne pense pas seulement les Psaumes avec sa tête ou en les chantant avec sa bouche, mais que les mains, les pieds et tout le reste doivent également chanter. Ne pense pas, je te prie, que je me sois laissée entraîner dans quoique ce soit. J’ai probablement rarement été aussi sensée que durant ces journées. Au fond, je résistais, mais ce n’était pas possible. […]
Je devrais bientôt m’arrêter, bien que j’aie encore tant de choses à te dire. Et d’abord, que c’était merveilleux d’être auprès de toi et que tu ne dois pas être triste. Ecris-moi ce que tu as pensé le soir après notre rencontre au parloir. Quel dommage que j’aie dormi pendant que tu pensais à moi à minuit le jour de mon anniversaire. Parfois quand je me réveille la nuit et que je pense tant à toi, je m’imagine que j’ai peut-être été réveillée par une de tes pensées. Ce serait beau. Le matin, quand je me lève à 5 heures et demi, je m’efforce de penser à toi le plus doucement et le plus légèrement possible, pour que tu puisses continuer à dormir encore un peu. J’ai tracé un trait à la craie autour de mon lit, à peu près de la grandeur de ta cellule. Il y a là une table et une chaise, comme je me les représente. Et quand je suis assise là, je crois être déjà presque auprès de toi. Si seulement j’y étais vraiment.
Ta Maria «
Credo de Dietrich Bonhoeffer:
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Je crois que Dieu peut et veut faire naître le bien à partir de tout, même du mal extrême. Aussi a-t-il besoin d’hommes pour lesquels » toutes choses concourent au bien « .
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Je crois que Dieu veut nous donner chaque fois que nous nous trouvons dans une situation difficile la force de résistance dont nous avons besoin. Mais il ne la donne pas d’avance, afin que nous ne comptions pas sur nous-mêmes, mais sur lui seul. Dans cette certitude, toute peur de l’avenir devrait être surmontée.
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Je crois que nos fautes et nos erreurs ne sont pas vaines et qu’il n’est pas plus difficile à Dieu d’en venir à bout que de nos prétendues bonnes actions.
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Je crois que Dieu n’est pas une fatalité hors du temps, mais qu’il attend nos prières sincères et nos actions responsables, et qu’il y répond
Prédication du pasteur Céline Rohmer sur France Culture le 25 mars 2007. http://www.protestants.org/