NOUS N’AVONS JAMAIS RIEN VU DE PAREIL
par Edwige Malberg
Une fois l’an, à Toulouse, Sophie Schlumberger et Katharina Schächl réunissent une vingtaine de personnes autour d’un texte biblique. Cette année, il s’agit du texte de Marc 2, 1-12.
L’objectif d’une lecture plurielle est d’introduire du jeu dans le texte et aussi de l’humour ; ça le rend vivant, riche de possibles. La mise à distance que cela implique va favoriser la découverte de sens insoupçonnés et inattendus.
Lire, c’est faire entrer en résonance, articuler, mettre en opposition des éléments du texte, travailler sur les relations opérées par le texte.
Au cours de la journée, vont alterner moments de réflexion personnelle, travail par groupes de trois et séances plénières.
Une approche du texte à petits pas
– Le jeu de cartes : Chacun de nous reçoit une carte sur laquelle est écrite un mot ou une expression en lien avec le texte que nous allons étudier. Chacun va d’abord écrire sur cette carte écrire ce que ce mot ou cette expression lui évoque. Les mots figurant sur les cartes sont les suivants : Dieu, Jésus, résurrection, foi, péché, pardon des péchés. Puis, par groupe de trois personnes ayant reçu la même carte, on présente ce que le mot nous a suggéré et on échange dans notre petit groupe. Six mots qui ont immédiatement ouvert les écluses de la parole dans un climat de confiance et de liberté. Nous échangeons pour finir en grand groupe. Une expérience de foisonnement et de collaboration active.
– Le texte à trous que nous devons compléter tandis que trois personnes rédigent un récit des événements relatés dans le texte de Marc. Ces deux exercices font apparaître les écarts entre le texte et ce qu’on projette sur lui de notre propre logique. Il s’agit de bien distinguer entre notre compréhension du texte et ce qu’il dit vraiment et se laisser surprendre.
Nous prenons alors conscience que chacun de nous lit la version qu’il a en mémoire car nous sommes porteurs d’une mémoire et nous projetons sur le texte nos propres représentations. Chacun opère des choix différents ; d’où le grand intérêt d’une lecture plurielle.
Sachons accueillir l’étonnant, l’inattendu, ce qui est bizarre. Restons ouverts et disponibles car sait-on jamais ce qu’on peut découvrir au détour d’un texte biblique ?
– Accueil du texte de Marc tel qu’il est proposé dans la TOB.
Qu’est-ce qui nous frappe lorsque nous découvrons ce texte ? Par exemple que les scribes sont assis. On fait résonner des oppositions : ici, les scribes sont assis et raisonnent en leur cœur ; ailleurs : « Qui est ma famille ? Ceux qui sont assis autour de moi… » D’un côté, être assis et raisonner en son cœur, d’un autre, être assis pour écouter.
Un pas de plus : Marc joue avec les mots ; cela nous échappe dans la traduction du texte grec en français. Marc a choisi certains mots, a renoncé à d’autres ; il a opéré des choix dans sa mise en récit. Le texte est construit, on a à faire à une œuvre littéraire. Alors pourquoi a-t-il opéré tel choix ou tel autre dans la mise en récit ? Les récits bibliques sont économes de mots qui servent une intention. Laquelle ?
Aussi allons-nous faire subir à ce texte le même décorticage qu’à n’importe quelle œuvre littéraire.
Visite du texte biblique
On visite un texte comme on visite un espace, on est invité à s’arrêter ici et là. Il s’agit de s’interroger sur les brèches dans le texte afin de maintenir les questions ouvertes. Sur quoi va-t-on s’appuyer dans notre péricope pour qu’elle prenne sens en distinguant bien ce que le texte dit et ce qu’il ne dit pas.
Le texte, rien que le texte, attentif à ne pas projeter sur lui des idées toutes faites ou nos représentations personnelles. Le texte va être décrypté, interrogé jusqu’en ses moindres détails. Y sont appliquées les clés de lecture qui président à toute analyse littéraire digne de ce nom c’est-à-dire relever une certaine quantité d’indices qui vont étayer notre compréhension. Il est capital de s’en tenir à ce qui est dit dans le texte :
– Sur les personnages présents dans ce récit (personnages individuels ou collectifs ; quelles informations le texte en donne-t-il ?)
Parmi tous les personnages, deux seulement sont nommés : Dieu et Jésus ; ils sont distincts, ouverts l’un à l’autre. On ne soit pas les confondre mais les poser l’un en face de l’autre pour qu’ils entrent en dialogue.
Ce sont les scribes qui prononcent le nom « Dieu » ; c’est pour eux une notion abstraite. Les scribes vont être pris à rebours de leur savoir. Ils se demandent qui peut pardonner. La tournure passive « Tes péchés te sont pardonnés » atteste qu’un Autre a pardonné les péchés.
– Sur les relations qui se nouent entre les personnages et ce qui facilite ou entrave les relations entre eux.
– Sur les déplacements et les évolutions qui se dessinent entre la situation initiale et la situation finale. Quels changements les personnages initient-ils ou subissent-ils ? D’autres éléments du récit vivent-ils des évolutions ?
Comment le récit travaille à rétablir un équilibre.
Le récit se déploie autour de deux axes : fermeture et ouverture d’une part, immobilité et mouvement de l’autre. On observe des passages de l’ouvert au clos et inversement. Ainsi que des passages de l’impersonnel au personnel. Personne ne parle que Jésus (parole ouverte) alors que les scribes parlent en eux-mêmes (parole fermée). La parole devient efficace lorsqu’elle s’adresse à quelqu’un. En outre, Jésus humanise le paralysé en l’appelant « Enfant ». Ce terme apparaît de façon inattendue. Quelque chose s’est passé qui vaut à cet homme d’être appelé « Enfant » ; c’est comme s’il naissait.
Enfin, un titre devra être donné à ce récit.
Cette visite du texte va durer trente minutes. Une animation biblique repose sur une gestion minutieuse du temps.
Le titre qui sera proposé après toute cette phase d’analyse correspond-il à l’enjeu du texte ?
Le titre retenu est : « La foi fait son trou » articulé avec « la foi n’est pas raison ».
Nous relisons le texte à la lumière de ce titre proposé. En quoi la foi fait-elle son trou ? Dans du clos, des brèches sont ouvertes. Nous observons des jeux de métaphores, par exemple, l’ouverture de la maison renvoie à d’autres ouvertures en train de s’opérer. Quant au paralysé, n’est-il pas la métaphore de tout ce qui est paralysé dans cette maison et en nous ?
La lecture donne du jeu au texte par les écarts entre nos représentations et ce qui y est véritablement exprimé. Dans un texte, il y a des sauts qui nous décentrent d’une lecture par trop évidente. On notera des ruptures dans le fil du récit.
Il s’agit de dégager les enjeux du texte. Y a-t-il un acte qu’on puisse isoler et qui nous fasse dire : c’est là que ça se passe?
Des questions
– Nous nous demandons ce qui a pu susciter cette exclamation : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil. » Que s’est-il donc passé ce jour là de si extraordinaire ?
– Quelle est donc cette foi dont parle Jésus lorsqu’il dit : « Ta foi t’a sauvé. ». La foi de qui ? Qu’est-ce qui a valeur de foi ? Toute la peine qu’ils se donnent ?
– Qu’est-ce qui est le plus facile, demande Jésus aux scribes, de dire au paralysé : « Tes péchés sont pardonnés » ou « Lève-toi, prends ton brancard et marche ». Quel est le critère de la facilité ?
Le texte biblique soulève des questions. Acceptons de les laisser ouvertes.
Questions que nous allons emporter et porter avec nous. Les effets de notre visite attentive ne se mesurent pas dans l’immédiat ; on garde une disponibilité afin que le travail se poursuive intérieurement ; de l’élan pour le mener ailleurs, avec d’autres, curieux à ce qui peut naître de ces rencontres à plusieurs avec un texte.