De la grâce à la louange - Aller plus loin

Quand et comment les lettres de Paul ont-elles été rassemblées ?

J.-D. Kaestli expose l’histoire de la transmission et le rassemblement des lettres écrites par Paul au 1er siècle de notre ère.

Jean-Daniel KAESTLI, « Histoire du canon du Nouveau Testament » in Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, (Dir. Daniel Marguerat), Genève : Labor et Fides, 2001, p. 459-460 :

« Faute de données suffisantes, la reconstitution des débuts de l’histoire des lettres pauliniennes et de la formation du corpus* relève du domaine de l’hypothèse. Sans entrer dans le détail des diverses théories proposées, on retiendra les éléments suivants.

Plusieurs indices montrent que les lettres de Paul ont dû très tôt circuler et être lues dans d’autres communautés que celles auxquelles elles étaient adressées à l’origine. Les adresses de certaines d’entre elles ont été retouchées dans un sens universalisant (Romains 1,7.15 ; 1 Corinthiens 1,2). Le fait même que des lettres pseudépigraphes* aient été composées (Colossiens, Ephésiens, 2 Thessaloniciens, Pastorales) implique aussi une circulation large et une reconnaissance des lettres authentiques en dehors de leur lieu originel de destination. Une nouvelle lettre de « Paul » ne pouvait être reçue comme telle que dans un milieu où d’autres avaient déjà cours. L’échange de lettres entre Colossiens et Laodicéens, recommandé en Colossiens 4,16 [« Quand vous aurez lu ma lettre, faites en sorte qu’on la lise aussi dans l’Eglise de Laodicée. Lisez de votre côté, celle qui viendra de Laodicée »], présuppose que l’auteur connaissait une telle pratique ou voulait l’encourager. Tout cela s’oppose clairement à l’hypothèse selon laquelle les lettres de Paul seraient tombées dans l’oubli après la mort de l’apôtre – ce qui expliquerait le silence des Actes à leur sujet – et n’auraient été mises en circulation qu’à la fin du 1er siècle grâce à une initiative individuelle.

Le rassemblement des lettres de Paul et leur insertion dans une collection ne doivent pas être séparés d’autres aspects de la réception de l’héritage paulinien : le travail rédactionnel qui marque certaines lettres et la production de lettres pseudépigraphes. Ces diverses activités sont à comprendre comme les éléments d’un même projet, qui est l’affaire d’un ensemble de personnes et prend place dans la durée. L’hypothèse la plus vraisemblable est de postuler l’existence d’une école paulinienne, attachée à conserver et à faire fructifier l’héritage de Paul. L’existence de cette école se comprend d’autant mieux si on l’inscrit dans la continuité du groupe de collaborateurs qui ont secondé l’apôtre de son vivant dans l’accomplissement de sa mission. Rien n’empêche de penser que le travail de rassemblement des lettres de Paul ait commencé très tôt après la mort de l’apôtre. »

Notes service Théovie :
*corpus : le corpus désigne l’ensemble des textes retenus par la tradition chrétienne.
*lettres pseudépigraphes : lettres qui portent un nom d’auteur non authentifié, en l’espèce : lettres non écrites par Paul lui-même.

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Le procédé littéraire de la pseudépigraphie

La pseudépigraphie est le fait d’écrire un texte sous le nom d’un autre auteur, généralement illustre, à qui on rend hommage en lui dédiant la lettre.

« Le procédé littéraire de la « pseudépigraphie » dont Ep [la lettre aux Ephésiens] se sert – à savoir l’utilisation du nom d’une autorité du passé, en l’occurrence celle de Paul, pour rédiger son propre écrit – ne constitue, dans le contexte de l’Antiquité, pas une atteinte à la propriété intellectuelle, comme dans nos cultures modernes. Il s’agit au contraire d’actualiser un héritage (philosophique, religieux, etc.), de montrer à quel point la tradition – en l’occurrence celle qui se réclame de Paul – reste une tradition vivante et pertinente, une tradition ayant la force de puiser dans le passé pour éclairer le présent et donner une orientation à l’avenir. »
61ème Cours Biblique par Correspondance de l’Office protestant de formation de Lausanne, Première étude, Période du 1er au 10 octobre 2009, p. 10.

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La difficulté à préciser le milieu historique de production

L’exégète Andreas Dettwiler attire l’attention du lecteur sur la difficulté pour les chercheurs à affirmer avec précision quel est le milieu historique de production de la lettre dite « aux Ephésiens ».
Andreas DETTWILER, « L’épître aux Ephésiens » in Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, (Dir. Daniel Marguerat), Genève : Labor et Fides, 2001, p. 284-285 :

« [La lettre aux Ephésiens] n’est pas un écrit de circonstance au sens strict. Elle n’atteste pas de relation spécifique entre Paul et une ou plusieurs communautés chrétiennes locales : pratiquement aucune information concrète ne nous est livrée sur les destinataires de la lettre, à l’exception du fait qu’ils étaient pagano-chrétiens (2,11) ; les informations épistolaires à la fin de l’écrit sont réduites à un minimum absolu ; il n’y a pas de liste de salutations. En outre, il est difficile de détecter des problèmes spécifiques qui auraient nécessité l’intervention de l’apôtre.

La difficulté de préciser le milieu historique de production est aggravée par le fait que l’appellation προ Εφεσιου (« aux Ephésiens ») a été ajoutée ultérieurement ; elle ne figure pas sur les manuscrits les plus anciens. Nous sommes donc obligés de tirer des informations sur les destinataires du seul texte de l’écrit, en faisant abstraction du titre. […] Dans tous les cas, Ep [Ephésiens] constitue un cas unique dans l’adresse des lettres néotestamentaires. Une explication de ce fait troublant pourrait être la suivante : la lettre était une lettre circulaire et une lacune permettait d’inscrire le nom des destinataires. Chaque église recevait son exemplaire, le porteur des lettres ajoutant à chaque fois le nom du lieu. D’autres chercheurs objectent que la lettre ne contenait tout simplement pas d’indication de destinataires et considèrent que le problème philologique n’est pas un obstacle insurmontable. Quoi qu’il en soit, le caractère général de cet écrit fait supposer qu’il s’agit d’une lettre ouverte, destinée non à une seule église, mais à un groupe d’églises plus vaste, probablement situé en Asie Mineure.

Mais pourquoi un certain nombre de manuscrits attestent-ils précisément l’indication « à Ephèse », et non pas le nom d’une autre église de l’époque ? A cette question, nous pouvons donner deux réponses. D’une part, le collaborateur Tychique, mentionné en Ep 6,21, est originaire d’Asie (Ac 20,4) ; 2 Tm 4,12 le place à Ephèse. D’autre part, le fait que Paul n’ait jamais écrit une lettre à cette communauté importante du christianisme primitif, bien qu’il y ait séjourné et travaillé longtemps a pu paraître surprenant ; il n’est dès lors pas étonnant que la tradition ait choisi ce nom pour l’insérer dans le canon des épîtres pauliniennes. »

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Les formules de bénédiction dans l’Ancien Testament

L’auteur montre le lien entre la bénédiction qui se trouve au début de la lettre aux Ephésiens et les formes de bénédiction présentes dans l’Ancien Testament.
Michel GOURGUES, Prier les hymnes du Nouveau Testament, Paris : Cerf (service biblique Evangile et Vie, Cahiers Evangile N° 801), 1992, p. 10 :

« Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis en toute bénédiction spirituelle aux cieux en Christ. »

C’est donc à trois reprises que revient en Ep 1,3 le langage de la bénédiction (eulogeô, eulogia), et à chaque fois avec une nuance de signification. « Béni soit Dieu » : il s’agit alors de la bénédiction ascendante, celle qui monte des croyants vers Dieu pour le louer. « Il nous a bénis en toute bénédiction » : il s’agit alors de la bénédiction descendante, celle qui vient de Dieu vers les croyants et qui se traduit sous forme de bénédictions au pluriel, c’est-à-dire de bienfaits, de grâces et de faveurs dues à son initiative. Celles-ci étant reconnues par les croyants, la bénédiction venue de Dieu provoque chez eux la bénédiction qui monte vers Dieu. »

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Bénir aujourd’hui

L’Eglise protestante unie de France (EPUdF) a précisé dans le texte du synode de Sète de 2015 sa compréhension de la bénédiction aujourd’hui en tenant compte des évolutions de notre société contemporaine.

Bénir. Témoins de l’Evangile dans l’accompagnement des personnes et des couples. Décision adoptée par le Synode national du Lazaret (Sète), le 17 mai 2015, p.2 :

« La bénédiction : accueil gratuit de Dieu, promesse de sa présence et appel à vivre de l’Evangile :

2.1 En nous redisant l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, la grâce de Dieu signifiée par la bénédiction nous décentre de nous-mêmes et nous libère de tout souci d’autojustification. Elle nous appelle à laisser cet amour transformer nos vies pour les mettre au diapason de l’Evangile. Ainsi, selon, les textes bibliques, la bénédiction est à la fois accueil, promesse et envoi ; ne retenir qu’un seul des trois pôles ne rendrait pas compte du mouvement même de la bénédiction.

2.2 Bénir, c’est offrir un signe et une parole qui disent l’amour de Dieu et sa présence ; ce n’est pas faire un acte magique qui contraindrait Dieu à nous être favorable ; ce n’est pas non plus signifier qu’il approuverait nos projets. Puisqu’elle renvoie à celui qui fait toutes choses nouvelles, puisqu’elle suscite la confiance en lui, la bénédiction est vraiment source de paix et d’espérance, elle ouvre l’avenir et oriente une dynamique de vie renouvelée.

2.3 Être béni est un cadeau qui nous est offert par grâce, à recevoir dans la foi ; c’est un appel à accueillir les joies de la vie avec gratitude et un appui pour assumer nos difficultés avec courage et confiance.

2.4 Car la bénédiction atteste la présence de Dieu auprès de nous dans nos échecs comme dans nos succès, dans nos marches assurées comme dans nos errances. Elle ne nous dispense ni des incertitudes de la vie humaine, ni des risques de nos projets, ni de nos responsabilités, mais soutient notre confiance en la bienveillance de Dieu. »

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Election

Jean Calvin précise quel est pour lui le sens du mot « élection » en référence à la lettre aux Ephésiens.

Jean CALVIN, Institution de la Religion chrétienne, Livre 3, chapitre XXIV, Genève : Labor et Fides, 1957, p. 440-441 :
« Premièrement, si nous demandons d’avoir la clémence paternelle de Dieu et sa bénévolence envers nous, il nous faut tourner les yeux en Christ, auquel seul repose le bon plaisir du Père (Mat. 3 : 17). Si nous cherchons salut, vie et immortalité, il ne faut pas non plus recourir ailleurs, vu que lui seul est la fontaine de vie, le port de salut, et l’héritier du royaume céleste. Or à quelle fin tend l’élection, sinon à ce que, étant adoptés de Dieu pour ses enfants, nous obtenions en sa grâce et dilection le salut et l’immortalité ? Quoi qu’on revire, retourne ou épluche, on trouvera que le but de notre élection ne tend à rien de plus. Par conséquent, ceux que Dieu a choisis pour ses enfants, il n’est pas dit qu’il les ait élus en eux-mêmes, mais en son Christ (Eph. 1 : 4), parce qu’il ne les pouvait aimer qu’en lui, et ne les pouvait honorer de son héritage, sinon les ayant d’abord faits participants de lui.

Or si nous sommes élus en Christ, nous ne trouverons pas la certitude de notre élection en nous ; pas même en Dieu le Père, si nous l’imaginons nûment sans son Fils. Christ donc est comme un miroir, auquel il convient de contempler notre élection, et auquel nous la contemplerons sans tromperie ; car puisqu’il est celui auquel le Père céleste a proposé d’incorporer ceux qu’il a voulu de toute éternité être siens, afin d’avouer pour ses enfants tous ceux qu’il reconnaissait être ses membres, nous avons un témoignage assez ferme et évident que nous sommes écrits dans le livre de vie, si nous communiquons à Christ ».

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L’issue dernière appartient à Dieu

Voici ici l’argumentation de Jean Calvin selon laquelle l’être humain ne peut savoir qui sont les « élus » et qui sont les « réprouvés » concernant le salut. La prédestination est l’affaire de Dieu uniquement.

Jean CALVIN, Institution de la Religion chrétienne, Livre 3, chapitre XXIV, Genève : Labor et Fides, 1957, p. 436 et 438.

« La vocation efficace des élus est due à leur élection miséricordieuse

« Le Seigneur donc choisit pour ses enfants ceux qu’il élit, et délibère d’être leur Père ; mais en les appelant, il les introduit en sa famille, et se conjoint et allie avec eux, pour être faits comme un. Or l’Ecriture conjoignant en telle sorte la vocation avec l’élection, montre bien par cela qu’il n’y faut rien chercher, sinon la miséricorde gratuite de Dieu. Car si nous demandons lesquels il appelle, et la raison pourquoi : elle répond, ceux qu’il a élus. Or quand on vient à l’élection, la seule miséricorde y apparaît de toutes parts, selon que porte la sentence de S. Paul : Que ce n’est point ni du voulant ni du courant, mais de Dieu ayant pitié (Rom. 9 ; 16).

Et il ne faut point prendre cela comme on fait communément, en partageant entre la grâce de Dieu, et la volonté et la course de l’homme. Car on expose que ni le désir ni l’effort de l’homme ne peuvent rien, sinon que la grâce de Dieu les fasse prospérer ; mais que si Dieu ajoute son aide, l’un et l’autre fait quelque chose pour acquérir le salut. (…)

  1. L’élection ne dépend ni de la volonté ni de la foi de l’homme

Il nous faut ici prendre garde à deux erreurs. Car les uns font l’homme compagnon de Dieu, pour ratifier l’élection de Dieu en s’y accordant. Ainsi, selon eux, la volonté de l’homme serait par-dessus le conseil de Dieu. Comme si l’Ecriture disait seulement qu’il nous est donné de pouvoir croire, et non pas plutôt que la foi est pleinement un don de Dieu.

Les autres, induits par je ne sais quelle raison, font dépendre l’élection de la foi, comme s’il n’y avait point de certitude ni fermeté jusqu’à ce qu’on croie. Or il est bien vrai, quant à nous, qu’elle est confirmée en croyant, et que le conseil de Dieu, qui auparavant était caché, nous est manifesté ; mais cependant gardons-nous d’entendre autre chose que ce que nous avons dit ci-dessus, à savoir que l’adoption de Dieu, qui nous était inconnue, nous est démontrée et comme scellée ».

Vous pouvez lire le texte du 16e siècle en suivant le lien suivant :

http://www.unige.ch/theologie/numerisation/Calvin_Institution/tome2_livre3_ch13-25.pdf

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L’Eglise : entre convocation et mission

L’autrice attire l’attention sur la double compréhension de l’Eglise qui est paradoxalement à la fois lieu de rassemblement et invitation à la dispersion pour annoncer la bonne nouvelle.
Isabelle GRELLIER, « Ecclésiologie » in Introduction à la théologie pratique, sous la direction de Bernard Kaempf, Strasbourg : Presse universitaire de Strasbourg, 1997, p. 344-345 :

« Dès l’origine, l’Eglise s’est comprise dans un double mouvement, celui du rassemblement et de la dispersion.

Le terme ecclesia porte en lui-même l’idée de rassemblement. Venant du grec ek-kaleo, appeler hors de, il désignait, dans le monde grec, l’assemblée des citoyens réunie pour prendre des décisions concernant la vie commune. Dans la Septante, où il est utilisé pour traduire le mot hébreu qahal, il désignait initialement l’assemblée du peuple de Dieu, convoquée pour entendre sa parole (par exemple Dt 9,10) ; puis, avec l’exil et la dispersion d’Israël, il en est venu à marquer l’espérance du rassemblement eschatologique* du peuple élu.

En décidant de s’approprier ce terme, les premières communautés chrétiennes indiquaient qu’elles avaient conscience d’être le vrai peuple de Dieu, le peuple convoqué pour entendre la parole du Seigneur et pour répondre à son appel ; mais en même temps elles affirmaient leur conviction qu’avec la venue de Jésus-Christ, sa mort et sa résurrection, on était rentré dans les temps de la fin et qu’elles constituaient les prémices du rassemblement eschatologique.

Simultanément, l’Eglise se vivait comme dispersée au milieu du monde, d’un monde différent sinon même hostile. Cette dispersion était d’abord une situation de fait, au moins pour la plupart de ces petites communautés éloignées géographiquement les unes des autres et vivant au milieu de sociétés non-chrétiennes. (…)

Ce qui apparaît là, à côté de la tension entre le rassemblement et la dispersion, c’est le double mouvement de recevoir et de donner qui est lui aussi inhérent à l’Eglise. L’Eglise se reçoit d’un Autre, de ce Dieu qui veut entrer en dialogue avec les humains : l’idée de convocation vient rappeler que l’Eglise ne se constitue pas elle-même, elle est le résultat de la parole qui la suscite. Mais l’Eglise est appelée à partager ce qu’elle a reçu, elle ne peut se comprendre en dehors de la mission qui lui est confiée, qui est d’annoncer en paroles et en actes la bonne nouvelle qu’en Jésus le Royaume s’est approché. La vie chrétienne se joue dans ce va-et-vient entre l’accueil et l’engagement, entre la Parole qui la fonde et la nourrit et celle qu’elle est appelée à faire entendre autour d’elle. »

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