Psaume 22 - Clés de lecture
L’expression « Biche de l’aurore », qui se trouve dans la suscription Dans le cadre d’un psaume, il s’agit du premier verset qui indique le plus souvent :la personne qui va psalmodier ou chanter le psaume (ex : le chef de chœur)l’instrument de musique à employer (ex : sur la Guittith [psaume 8] / sur la lyre à huit cordes [psaume 12]) ou la mélodie utilisée (ex : sur « Meurs pour le fils » [psaume 9] / sur « Biche de l’aurore » [psaume 22]) l’auteur présumé par la tradition (ex : Psaume de David / De David).* du psaume, est l’objet de plusieurs interprétations. Il pourrait s’agir d’une mélodie sur laquelle on chantait le psaume. Une autre interprétation affirme que ce serait une allusion au personnage de l’Ancien Testament Esther qui a fait lever l’aurore dans la nuit vécue par son peuple. Dans le judaïsme, le psaume 22 est utilisé dans la liturgie de la fête de Pourim qui rappelle chaque année l’action de sauvetage d’Esther. Dans le christianisme, à la suite de la lecture christologique du psaume 22 par les Pères de l’Eglise On dit plus couramment " Pères de l'Eglise ". On désigne ainsi les théologiens des premiers siècles jusqu'aux 7e/8e siècles.*, le réformateur Martin Luther propose dans son commentaire d’identifier la biche au Christ.
Le verset 2 débute le psaume avec une interrogation poignante : Dieu a abandonné le psalmiste. Cet abandon va être le thème principal de la première partie du psaume (versets 2 à 22) qui constitue la plainte. Le verset 2 est repris dans les évangiles selon Matthieu et selon Marc : il est mis dans la bouche de Jésus sur la croix. Dieu abandonne : c’est un paradoxe, un scandale. Cette affirmation revêt une importance capitale dans le Nouveau Testament. Outre le verset 2, plusieurs versets du psaume sont repris par les rédacteurs des quatre évangiles (versets 2, 8, 9, 16 et 19). Une lecture christologique du psaume s’est déployée au cours des siècles en relation avec les récits de la passion du Christ. L’événement de la passion Du verbe latin "patior" souffrir. La passion de Jésus recouvre le temps de ses souffrances : son arrestation, son jugement, sa condamnation, sa crucifixion et son ensevelissement.* a été interprété en lien étroit avec la tradition des psaumes de lamentation.
La détresse du psalmiste monte d’un degré car il est confronté au silence de Dieu. Pour le psalmiste, Dieu cache son visage. Le silence de Dieu ou le Dieu « caché » sont des thèmes fréquents dans les textes de l’Ancien Testament.
Dieu est compris comme un interlocuteur pour l’être humain. Il crée par sa parole au début du texte de la Genèse (Genèse 1,1-31 et 2,1-3). La parole de Dieu est centrale dans l’Ancien Testament. La création entière est comme suspendue à sa parole. Dieu qui ne répond pas représente un véritable danger, une menace de retour au chaos. Le psalmiste utilise le même verbe (« répondre ») au verset 3 et au verset 22 : c’est la réponse de Dieu (même si le contenu de la réponse reste inconnu) qui le sauve de la mort.
Le psalmiste dénonce l’aspect particulièrement injuste, à ses yeux, de sa situation. Le ton est celui du reproche : si Dieu était présent pour ses pères, pourquoi l’abandonne-t-il ? L’action de se ressouvenir est centrale en temps de détresse : le psalmiste l’applique à lui-même. Quand la situation est difficile, il cherche des exemples de libération dans l’histoire de son peuple. Ainsi, le peuple, au moment de l’exil, se souvient de la sortie d’Egypte et des quarante années passées dans le désert. L’espérance d’une nouvelle libération renaît.
Cette comparaison du psalmiste à un ver contraste avec l’expression du verset 2 « Mon salut reste loin des paroles de mon rugissement » qui fait allusion à la force du lion. L’image du ver évoque un animal sans défense, nu et méprisé. On peut penser à l’expression française « être nu comme un ver ». C’est une première image de sa fragilité physique et psychique. Il y en aura d’autres dans le Psaume. Pire, cet animal évoque le dégoût et le rejet puisqu’il peut être associé à la vermine. Le psalmiste décrit ainsi son état de déchéance physique et sociale. La dévalorisation par les ennemis et le rejet social sont des thèmes importants dans les psaumes : l’individu ne peut pas vivre en dehors de la communauté.
La déchéance sociale se caractérise par les injures, le rejet, les railleries des autres (versets 7 à 9). Ils ironisent sur l’aide que Dieu pourrait apporter au psalmiste. Ils mettent en doute la qualité du lien entre Dieu et le psalmiste, ils doutent du véritable pouvoir de Dieu à lui venir en aide. Ce ton ironique de la part des ennemis se retrouve dans le Nouveau Testament. Les évangiles selon Matthieu, Marc et Luc présentent des scènes similaires dans lesquelles Jésus est l’objet de moqueries de la part de ses adversaires. En revanche, l’évangile selon Jean ne présente pas Jésus ainsi.
Le psalmiste évoque sa naissance et l’état de fragilité du nouveau-né (versets 10 et 11) : c’est une deuxième image de sa fragilité physique. Il insiste sur le fait que sa naissance et sa survie dépendent de sa mère et de Dieu. Il réaffirme ce lien vital à Dieu et demande que cesse cet éloignement de Dieu à son égard (verset 12). La solitude du psalmiste est totale, il n’a à présent plus ni mère ni Dieu pour le soutenir. Dans sa détresse, il est convaincu qu’aucune aide n’est possible. Les versets 13, 14 et 17 puis, plus loin, les versets 21 et 22 décrivent les ennemis sous la forme d’animaux féroces et dangereux : taureaux (v. 13), lions (v. 14 et 22), chiens (v. 17 et 21), puissants du Bashân (v. 13) qui seraient des bœufs vivant dans les montagnes de la rive nord-est du Jourdain, buffles (v. 22). C’est une troisième image de sa fragilité physique : comment se défendre face à ces animaux ? L’utilisation du bestiaire est typique de la culture orientale de l’époque.
Aux versets 15 et 16, le lecteur peut apprécier le style poétique du psaume. La 4e image de la fragilité physique du psalmiste est rendue par le contraste entre l’élément liquide (l’eau, je m’écoule, la cire, il fond) et la sécheresse (devenue sèche, la langue me colle, la poussière). L’état de sécheresse évoque la perte totale des muscles et une maigreur extrême au verset 18 « Je peux compter tous mes os ». On retrouve ici l’exagération du style dans cette déchéance physique et psychique comme pour la description des ennemis. Une image similaire se trouve dans les psaumes 38 et 39. Cette déchéance physique n’est pas sans rappeler la Passion Du verbe latin "patior" souffrir. La passion de Jésus recouvre le temps de ses souffrances : son arrestation, son jugement, sa condamnation, sa crucifixion et son ensevelissement.* du Christ dans le Nouveau Testament : la sécheresse, la soif intense.
La fin du verset 17 est difficile à traduire. Le texte hébreu de l’Ancien Testament dit « Comme un lion, mes mains et mes pieds ». Etant donné que le verbe manque dans cette phrase, dans certaines versions on trouve alors une modification de cette expression « comme le lion » qui est alors traduite comme un verbe : « Ils ont percé, lié ou entaillé mes pieds et mes mains ».
Il est vrai que, d’après Philippe Lefebvre, dans l’Ancien Testament « les corps des messies et de leurs proches sont souvent menacés de transpercement », ce qui expliquerait cette modification. Cette évocation du transpercement se trouve en particulier dans le livre de Samuel.
(Source : Philippe LEFEBVRE, « Corps des messies chez Samuel », in: Pierre GISEL (éd.), Le corps, lieu de ce qui nous arrive. Approches anthropologiques, philosophiques, théologiques, Genève: Labor et Fides (coll. Lieux théologiques), 2008, p. 118.)
Le partage des vêtements finit d’enlever toute identité au psalmiste. Le vêtement est en effet un signe d’appartenance sociale et un moyen de garder sa dignité et son identité. Cette action serait conforme à une pratique juridique attestée chez les Assyriens selon laquelle les accusateurs pouvaient se partager les vêtements d’un condamné à mort. Le psalmiste se retrouve dénudé et sans défense : sa situation fait écho à l’image du « ver nu » du verset 7. Le verset 19 est repris dans le Nouveau Testament par les quatre évangiles. Ils font référence au partage des vêtements concernant Jésus.
Alors que tout semblait perdu aux yeux du psalmiste, la fin du verset 22 est un « coup de théâtre » : le psalmiste affirme que Dieu lui a répondu, sans toutefois dévoiler le contenu de la réponse qui met fin à l’angoisse des versets 2 et 3. De façon tout à fait inattendue, la deuxième partie du psaume du verset 23 à 32 bascule dans la louange. C’est assez inhabituel de trouver à la fois plainte et louange individuelle et invitation à la communauté à rejoindre le psalmiste pour louer Dieu. Par la louange, le psaume atteste à la communauté qu’il ne faut pas désespérer car Dieu n’abandonne pas celui qui lui fait confiance. La douleur, le doute et le désespoir qui caractérisent la lamentation ne sont jamais définitifs : le psaume en témoigne. Lire ce psaume, c’est une invitation au lecteur d’aujourd’hui à entrer dans le mouvement de ce texte.