On nous change la religion! - Espace temps

Le christianisme et l'invention de l'individu

Dans le cadre polythéiste, les êtres humains sont requis par des dieux divers qui les utilisent au service de leurs propres intérêts et de leurs rivalités. Mais dans le cadre monothéiste, tout être humain est considéré à l’aune unique d’un dieu unique. Selon les doctrines, ce dieu peut être par exemple un dieu aimant qui sauve, un dieu courroucé qui condamne, un dieu attentif qui juge, etc. Il n’en reste pas moins que c’est l’humanité dans son ensemble et chaque être humain singulièrement qui sont concernés par le même et unique dieu. Le peuple d’Israël a fait cette découverte progressivement au cours de son histoire.
L’événement décisif qui le fait basculer vers un monothéisme radical est l’exil de son élite à Babylone, au 5e siècle av. JC. Les penseurs d’Israël, plongés dans un environnement et une culture qui ne sont pas les leurs, sont alors contraints d’élargir leur compréhension théologique à la dimension de l’univers connu. Leur réponse à cette situation inédite est d’affirmer que le Dieu d’Israël est aussi le Dieu de tous les peuples.

Revenir à la page précédente
Paul

C’est l’apôtre Paul, au milieu du 1er siècle après JC, qui va doubler cette égalité « du point de vue de Dieu » d’une égalité « du point de vue des hommes ». Aux chrétiens des communautés du centre de l’Asie mineure, il écrit notamment :

Galates 3,26-28
« Vous êtes tous, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ ; en effet, vous tous qui avez reçu le baptême du Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car tous vous êtes un en Jésus-Christ ».

Si nous pensons par exemple à l’importance de l’esclavage, vitale économiquement et évidente socialement, nous pouvons percevoir un peu de la force révolutionnaire de cette affirmation. En Jésus-Christ, explique l’apôtre, les séparations hiérarchiques non seulement ne sont plus pertinentes, mais elles n’existent plus. Chaque être humain est ainsi reconnu indépendamment de ses qualités et de ses défauts, de ses succès et de ses échecs, de sa situation et de sa position sociales. Il est simultanément appelé à vivre avec les autres en les considérant de la même manière.

Revenir à la page précédente
La Réforme et les bouleversements du paysage religieux

La Réforme protestante, au début du 16e siècle, a provoqué un bouleversement considérable du paysage religieux de l’Occident.
Du côté de la théologie, l’affirmation du salut par grâce dans la foi fait de Dieu un Père qu’on peut aimer et non plus un juge qu’il faut craindre et séduire. Puisque le croyant se découvre accepté indépendamment de ses qualités et de ses défauts, même religieux, il est libéré du souci de gagner la considération ou la bienveillance de Dieu. L’amour de Dieu, premier et inconditionnel, lui ouvre une vie fondée sur la gratitude, qui s’exprime dans la reconnaissance à Dieu et le service du prochain.
Du côté des institutions ecclésiastiques, l’affirmation que l’autorité pour le croyant réside dans une lecture de la Bible inspirée par Dieu, ôte toute valeur ultime aux prescriptions d’une hiérarchie sacrée. L’autorité de l’Eglise ne se comprend qu’articulée à la liberté et à la responsabilité du croyant uni à ses frères et à Dieu.
De proche en proche, c’est ainsi le rapport à soi, à la connaissance, au politique, au monde, qui sont affectés par les déplacements religieux.
Mais les audaces d’un Luther, d’un Zwingli et des autres Réformateurs n’ont pas été les seules sources des ébranlements qu’a connus le 16e siècle. Les « grandes découvertes » d’une part, la révolution copernicienne qui déloge la terre et ses habitants du centre d’un monde imaginaire d’autre part, ont bouleversé, à peu près en même temps, la conscience de l’homme médiéval et accouché du monde moderne.

Revenir à la page précédente
La Réforme protestante

La Confession d’Augsbourg de 1530 énonce par rapport aux rites ecclésiastiques institués par des hommes : « Nous enseignons qu’on doit observer ceux qui peuvent l’être sans péché et qui contribuent à la paix et au bon ordre dans l’Eglise, telles certaines fêtes, solennités et autres choses semblables ; cependant nous précisons qu’il ne faut pas en charger les consciences, comme si de telles choses étaient nécessaires au salut ; à ce sujet nous enseignons que toutes les ordonnances et traditions instituées par les hommes pour réconcilier Dieu et mériter la grâce sont contraires à l’Evangile ».

Revenir à la page précédente
Une définition de la " secte " par Max Weber

Le sociologue Max Weber (1864-1920) a introduit un usage sociologique de ce mot, dénué de tout jugement de valeur. Pour lui, les groupes religieux peuvent se répartir en deux types. D’un côté, le type « Eglise » désigne les institutions de salut qui participent à la culture de leur société et dialoguent avec l’Etat, passent des compromis avec « le monde », prônent des exigences religieuses et morales minimales. D’un autre côté, le type « Secte » désigne les rassemblements volontaires d’individus ayant fait explicitement ce choix, critiques voire dénonciateurs à l’égard des Etats et de la culture, plutôt en rupture avec « le monde », exigeant de leurs membres un engagement religieux et moral élevé, visible et vérifiable.

Revenir à la page précédente
L'alliance de la mystique et des Lumières

On oppose communément la raison à la foi. C’est, intellectuellement et historiquement, une erreur.
Le piétisme est un mouvement spirituel, voire mystique, qui a profondément marqué le protestantisme des 17e et 18e siècles en s’opposant aux doctrines théologiques rigides d’alors, que l’on a appelé les « orthodoxies confessionnelles ». A ce sujet, le grand théologien américain d’origine allemande Paul Tillich (1886 – 1965) écrit :
« Il est entièrement faux que le rationalisme des Lumières s’oppose au mysticisme piétiste. Dire que raison et mystique se contredisent n’est qu’un préjugé populaire. Historiquement, le piétisme et la philosophie des Lumières se liguèrent contre l’orthodoxie [confessionnelle]. La subjectivité du piétisme, ou la doctrine de la « lumière intérieure » du quakerisme et autres mouvements extatiques, se présentent comme la défense de l’autonomie contre l’autorité de l’Eglise. Pour exprimer les choses plus brutalement encore, l’autonomie moderne de la raison vient directement de l’autonomie mystique supposée par la doctrine de la lumière intérieure. […] Le rationalisme ne s’oppose pas au mysticisme, si, par mysticisme, nous entendons la présence de l’Esprit dans les profondeurs de l’âme humaine. Le rationalisme est le fruit du mysticisme, et tous deux s’opposent à l’orthodoxie autoritaire. » (Tillich, Paul, Histoire de la pensée chrétienne, Paris: Payot, 1970, p. 317 s.)

Revenir à la page précédente
La loi de 1905, organisatrice en son temps du paysage religieux

La place juridique des cultes dans la société française est actuellement régulée principalement par la loi promulguée le 11 décembre 1905. Dans son souci de mettre un terme à la « guerre des deux France », la catholique et la laïque, ce texte dispose que « la République assure la liberté de conscience » et qu’elle « garantit le libre exercice des cultes » sous les restrictions nécessaires au maintien de l’ordre public ; il précise notamment qu’elle « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Refusée dans un premier temps par l’Eglise catholique romaine en vertu des traités internationaux liant la France à l’Etat du Vatican, la loi, complétée et aménagée, et ses principes pacifièrent effectivement un paysage religieux français longuement et douloureusement labouré par les polémiques.
Mais cette loi a maintenant un siècle. Depuis son adoption, des phénomènes aussi différents et irréversibles que l’installation d’un Islam important et de plus en plus français, la découverte de spiritualités orientales encore récemment inédites, l’apparition de « Nouveaux mouvements religieux » aux racines parfois floues ou obscures, l’intégration européenne qui impose de rechercher des harmonisations dans tous les domaines, ont considérablement bouleversé le contexte religieux dans lequel les Français évoluent. Cette loi « de séparation des Eglises et de l’Etat », dont le titre qui fait allusion au seul christianisme indique à lui seul qu’elle est dépassée, est-elle toujours aussi adaptée ? Faut-il la repenser à nouveaux frais ? L’aménager ?
A l’automne 2002, la Fédération protestante de France a pris l’initiative d’interpeller le gouvernement en souhaitant que les dispositions d’application de cette loi s’adaptent « à l’évolution de la fiscalité et à l’éclatement du paysage religieux ».

Revenir à la page précédente