Vieillir - Espace temps

Vieillir : décliner ou progresser ?

Dès l’Antiquité, les philosophes se sont interrogés sur le sens de la vieillesse. Par exemple Solon (vers 640-558 avant J.-C.) affirme que la vieillesse est un progrès puisqu’on y apprend toujours. D’autres philosophes vont penser la vieillesse plutôt comme un déclin. Deux conceptions de la vieillesse s’affrontent donc au fil du temps :

  • Des philosophes envisagent la vieillesse comme un processus d’usure du vivant qui diminue les performances physiques et intellectuelles en le rapprochant de la mort. La vieillesse est une privation d’être, donc un mal. Ils envisagent alors la vie comme ayant un point culminant à partir duquel les forces vitales commencent à se dégrader et à diminuer. Pour Nietzsche (1844-1900), par exemple, la vieillesse n’est rien d’autre que l’extinction progressive et tragique de la vie.

  • D’autres leur opposent que la vieillesse a aussi ses avantages : elle débarrasse de ce qu’il y a de plus futile et éphémère, permet d’accéder à la sagesse et de prendre enfin conscience que réussir dans la vie ne signifie pas forcément  » réussir sa vie « . La vieillesse serait une sorte de libération bienfaitrice qui permettrait de se réconcilier avec soi et les autres. Ils envisagent alors la vie comme ayant un sens et un projet : on peut être lucide sur son déclin tout en s’efforçant de le vivre le mieux possible.
    Bien qu’opposées, ces positions partagent au moins un avis : l’existence humaine comporte un sommet. Selon eux, tout l’enjeu est de le situer (dans la jeunesse ou dans l’âge mûr).
    On peut noter qu’aujourd’hui, cette idée d’un  » sommet  » de l’existence tend à disparaître, on parle plutôt d’un horizon à atteindre. Une course sans fin contre tout ce qui ressemble à une limite s’engage. C’est en ce sens, qu’on entend parler de la vieillesse comme d’un  » défi à relever « , ou d’une  » conquête de soi « .

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Pourquoi respecter la vieillesse ?

Les historiens confirment généralement que les sociétés traditionnelles honoraient la vieillesse. En ce sens, les plus âgés constituaient un groupe reconnu pour son savoir et sa sagesse. Leur expérience était mise à contribution, ils avaient un rôle social à jouer et une place préétablie. Leur revenait un certain nombre de privilèges et même souvent celui de diriger. Dans cette perspective, on honore la vieillesse en partie pour ce qu’elle apporte d’avantages à l’ensemble de la société. Par exemple, lors de la Réforme (16e siècle), les réformés ont institué des conseils presbytéraux pour diriger les communautés :  » presbytéral  » vient du grec presbuteros qui signifie  » ancien « . Ce sont donc aux anciens que revenait la responsabilité d’orienter l’Eglise locale.
Au 18e siècle, le philosophe allemand Emmanuel Kant s’est interrogé sur l’origine du devoir d’honorer la vieillesse. Selon lui, ce n’est pas un respect dû à la faiblesse du vieillard, car la faiblesse n’est pas, en tant que telle, un mérite ; il ne s’agit pas non plus de sagesse car la vieillesse ne confère pas automatiquement la sagesse. Pour Kant, ce devoir envers les personnes âgées est lié à la reconnaissance d’avoir duré.
Cette performance de la durée pourrait sembler aujourd’hui bien affaiblie puisque vieillir ne fait plus exception, tant les progrès de la médecine ont fait augmenter l’espérance et la qualité de vie. Pourtant, ce respect pour la durée soulève un point intéressant. Dans un monde de la performance et qui change en permanence et avec frénésie, durer relève de l’exploit.

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Quelle place pour nos aïeux dans la société ?

A cause d’une hyper-individualisation de la vie, les solidarités  » obligées  » ont décliné : le lien social s’est distendu au profit du lien privé. Les institutions publiques privilégient aussi ce lien privé. Par exemple, en multipliant considérablement les services à domicile pour les personnes âgées. Cette progression a contribué à réduire le développement de l’hébergement en maison de retraite et de l’hospitalisation en long séjour.
Pourtant, pour la plupart des contemporains, la dépendance des personnes âgées est un phénomène qui reste l’objet d’une profonde inquiétude. Les enquêtes montrent que les gens s’estiment largement démunis devant cette perspective, convaincus que ni leurs propres ressources, ni la solidarité familiale ni même l’Etat ne permettront d’y faire face. Cette tendance souligne bien que l’enjeu du débat repose essentiellement sur la perception que l’on a de la vie et des conditions de vie qu’on exige non seulement de soi mais aussi des proches. La peur principale est qu’un jour ou l’autre, soi-même ou un proche ne soit plus regardé par les autres (Etat ou famille) comme un individu à part entière. La force des débats sur l’euthanasie ou l’accompagnement des mourants le montre clairement.

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Quelle place pour nos aïeux dans la famille ?

Les dernières décennies ont provoqué un repli individualiste des plus exacerbé. Pourtant, le lien familial ne s’est pas distendu. La famille reste une valeur sûre. Du cri d’André Gide (1869-1951)  » Famille, je vous hais ! « , on retient le mépris qu’inspirent les  » foyers clos « , la famille comme cellule étouffante. Aujourd’hui, la famille est un lieu d’appui et de solidarité particulièrement valorisé. Si les générations ne cohabitent plus ensemble (ce qui était vrai jusqu’au baby-boom), elles coexistent actuellement très bien. Dans cette perspective, la place des personnes âgées est importante : les générations anciennes soutiennent leur descendance à chaque étape importante (financièrement mais aussi en assurant une aide domestique régulière). Les difficultés apparaissent si la personne âgée devient dépendante, mais malgré ce, une large majorité reste à domicile (93% des personnes âgées de 65 ans et plus continuent d’habiter chez elles).

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