Valdo et le mouvement vaudois - Aller plus loin

Pierre Valdo et François d'Assise, deux itinéraires à la fois proches et différents

Tourn Giorgio Les Vaudois, l’étonnante aventure d’un peuple-église Tournon/Turin Réveil/Claudiana 1980 p.34-35 :
 » Bien qu’une trentaine d’années séparent l’aventure spirituelle de François d’Assise de celle de Valdo, les analogies sont si nombreuses et si évidentes entre ces deux histoires d’hommes, qu’il devient presque superflu de les relever. Ils sont tous deux d’extraction citadine, fils de marchand le premier, marchand le second. Lorsque le message évangélique les saisit et leur rend impérative l’exigence de vivre en pauvreté, les deux hommes se retrouvent en état de crise au sein de la société qui est la leur ; hommes d’Eglise, ils se tiennent cependant sur le pas de la porte, en équilibre constant entre l’obéissance et la liberté. Mais les divergences qui firent de l’un un hérétique mis au ban, de la société et de l’autre un saint de l’Eglise romaine, sont aussi substantielles et évidentes que les convergences. François est non seulement une grande personnalité du christianisme médiéval, c’est encore le représentant le plus linéaire et le plus parfait de la spiritualité italienne. Il a su interpréter admirablement les besoins de sa génération et de son milieu et les mouler dans la religiosité traditionnelle de son pays, au sein de l’Eglise romaine. […] La piété franciscaine, faite de dévotion à un Christ humain, d’adhérence au monde de la nature, de simplicité un tant soit peu anticulturelle, positive et fraternelle, n’éveille pas la peur mais la sympathie ; elle recueille et accueille l’humanisme et le naturalisme de la vieille religion romaine -toujours présente dans l’âme italienne- et la transfigure par la communion de Christ. C’est une piété rassurante qui apaise aussi bien le bourgeois que le déshérité ; génératrice de sentiments de dévotion, de désirs de pacification, elle désamorce les conflits. C’est la religiosité d’une Eglise qui s’approche des pauvres, se forme avec les pauvres sans devenir cependant l’Eglise des pauvres. […] Les gens se convainquent peu à peu que l’on peut être moderne sans être cathare, pauvre sans être patarin, évangélique sans se faire vaudois, qu’il est possible de satisfaire une vocation évangélique et de conduire la lutte pour le renouvellement de l’Eglise sans tomber dans l’hérésie. « 

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Une description des Vaudois

Map, Gautier, De nugis curialium (bavardages de curie) ed.M.R.James Oxford 1914 Enchiridion Fontium Waldensium I, a cura di G.Gonnet p.122 :
 » Nous avons rencontré au Concile de Rome, célébré sous le pontificat du pape Alexandre III, des Vaudois ; il s’agit d’hommes simples et analphabètes ainsi nommés à cause de leur chef, Valdo, citoyen de Lyon… ; ils réclamaient avec insistance qu’on leur concède le droit de prêcher, se réputant aptes à cette tâche alors qu’ils en étaient à l’ABC… Pour mon compte, n’étant que le moindre parmi tous ces délégués… je me suis limité à poser quelques questions élémentaires… [ Le moine demande aux Vaudois s’ils croient en Dieu, Père, Fils et St-Esprit ; à chaque demande ils répondent affirmativement mais ils répondent affirmativement aussi à la question « croyez-vous en Marie vierge, mère du Christ ? ». Il s’agit d’une grosse erreur théologique, selon la Scholastique il aurait fallu répondre « non », nous croyons « à » Marie, la préposition « en… » ne pouvant s’utiliser que pour la Trinité.] Ces réponses provoquèrent l’hilarité générale et ils durent s’en aller honteusement. Ces gens n’ont pas de résidence fixe ; ils vont deux par deux, nus pieds, vêtus de bure, ne possédant rien et mettant tout en commun selon l’exemple des apôtres, suivant nus un Christ nu. Leurs débuts sont insignifiants, car ils n’ont pas encore pu prendre pied, mais laissons les faire et ils nous mettront à la porte.  » En écho, voici ce qu’écrit Antoine Dondaine, père dominicain.
Dondaine Antoine Les hérésies et l’Inquisition au 12e et 13e siècles Paris réédité par Variorum Editions Yves Dossat 1990 :  » Pour nous, ce rire nous fait mal après huit siècles passés, car il est au plan humain, une des causes du schisme qui éclatera bientôt. Ces pauvres de Lyon étaient des gens simples qu’on aurait dû respecter ; l’humiliation qui vient de leur être infligée pèsera lourdement sur eux dans la tragédie intime qui va se jouer dans leur conscience. « 

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Document de l'Inquisition

Archives de l’Inquisition française. Rapport sur les Vaudois du Languedoc au début du 13e siècle.
Actes de l’Inquisition de Carcassonne, éd. Döllinger, II, 6-7 :
 » Le mouvement des Pauvres de Lyon fut fondé aux environs de 1170 par un citoyen de Lyon, un certain « Valdesisus » ou « Valdensis » d’où le mouvement tira son nom « Vaudois ». C’était un homme riche qui abandonna ses biens pour vivre dans la pauvreté et la perfection évangélique, voulant imiter en cela les apôtres. Il se fit traduire les Evangiles, certains livres de la Bible et des textes de St-Augustin, St-Jérôme, St-Ambroise et St-Grégoire en langue populaire. Il se mit à lire avec ferveur, sans cependant y comprendre grand’chose, ces textes qu’il appelait des « sentences ». Il s’agit d’un individu imbu de lui-même, à l’instruction très lacuneuse et qui finit par usurper des prérogatives apostoliques. Poussé par son ambition, il eut l’audace de prêcher l’Evangile dans les rues et sur les places ; il fit de nombreux disciples des deux sexes, les entraîna dans son ambition et les envoya prêcher à leur tour sur les places et dans les rues. Ces individus ignorants et analphabètes parcouraient les villages, pénétraient dans les maisons, dans les églises même, diffusant partout leurs erreurs. Ils furent convoqués par l’Archevêque de Lyon qui les défia mais ils refusèrent de lui obéir, affirmant pour masquer leur folie qu’il fallait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes et que Dieu avait ordonné aux apôtres de prêcher l’Evangile à toutes les créatures.
C’est ainsi qu’ils finirent par mépriser les prélats et les clercs, les accusant d’être riches, de vivre dans l’aisance ; sous prétexte d’en être les imitateurs et les successeurs et en vertu d’une fausse pauvreté et d’une feinte sainteté, ils s’arrogèrent des droits qui avaient été réservés aux apôtres. A cause de leur désobéissance et de l’usurpation présomptueuse d’une tâche qui ne leur incombait pas, par contumace ils furent excommuniés et expulsés de leur patrie. « 

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Le colporteur vaudois

Tourn Giorgio Les Vaudois, l’étonnante aventure d’un peuple-église Tournon/Turin Réveil/Claudiana 1980 p.43-44 :
 » Un inquisiteur du 16e siècle nous a laissé le portrait très vivant d’un « magister » vaudois camouflé sous les apparences d’un marchand ambulant. Un colporteur arrive au château ; toute la population de l’endroit, maîtres et servants, l’entoure bientôt et il commence à étaler sa marchandise : étoffes, quelques bijoux, petits objets divers qu’il vante d’un art consommé. Peu à peu, il se met à parler d’une marchandise beaucoup plus précieuse, de perles de valeur inestimable, tout en laissant comprendre qu’il est à même de la fournir. La curiosité se fait plus vive et notre Vaudois, tâtant la réaction de son public par de larges détours, parle de la perle de grand prix -comme l’avait appelée Jésus- c’est-à-dire de l’Evangile. Il passe ensuite doucement à une critique ouverte de l’Eglise, de sa puissance, de sa richesse, de son luxe, etc… Le colporteur ambulant est un personnage qui a connu jusqu’au 19e siècle, un franc succès dans la littérature édifiante vaudoise et qui a inspiré bon nombre de poésies et de saynètes. Ce personnage correspond sans doute à la réalité et prouve que les Vaudois avaient conservé leurs attaches avec le monde du négoce longtemps encore après la mort de Pierre Valdo. « 

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Accusations contre les Vaudois au 4e concile du Latran (1215)

Félix Bernard L’hérésie des pauvres. Vie et rayonnement de Pierre Valdo Genève Labor et Fides 2002 p. 173 :
 » Résumons ici, selon Maurice Pezet les accusations portées contre les vaudois, illustration de l’aveuglement de ce concile :
– embrasser l’idéal de pauvreté en le vivant hors de l’Eglise (ce que François va soigneusement éviter de faire : il est averti !) ;
– prêcher dans les rues et sur les places publiques pour des laïcs n’ayant aucun titre et manifestant une présomption orgueilleuse et une usurpation du ministère apostolique ;
– traduire et lire les Ecritures dont l’Eglise, seule, a la garde ;
– faire prêcher même les femmes (et c’est une horreur épouvantable en ce temps) ;
– mépriser la hiérarchie ecclésiastique, le culte marial et celui des saints ;
– ne pas respecter les sacrements de l’Eglise ;
– avoir des croyances et des pratiques superstitieuses (on se demande bien lesquelles, mais cela complète bien pour les contemporains, le tableau sévère des abominations vaudoises). « 

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Les positions vaudoises

Félix Bernard L’hérésie des pauvres. Vie et rayonnement de Pierre Valdo Genève Labor et Fides 2002 p. 189-190 :
 » Maurice Pezet résume ainsi, avec les termes de la fin du Moyen Age, ce qu’est la morale vaudoise :  »
Ce dit saint Paul : ne mentir.
Ce dit saint Jacques : ne jurer.
Ce dit saint Pierre : ne rendre mal pour mal, mais bien au contraire. »
Et il donne, de la doctrine de Valdo, le condensé suivant :  »
– L’Ecriture est la seule règle de la foi et des cœurs.
– Tout homme et toute femme initiés à la connaissance de la Parole Divine, peuvent prêcher.
– C’est une chose excellente que le culte soit en langue populaire et que chacun use de la Bible.
– La foi est un don de Dieu ; elle comprend l’amour du Seigneur et l’obéissance à ses commandements.
– Le sacrifice de la messe du culte romain ne vaut rien.
– Les indulgences ne valent rien, le purgatoire est une fable.
– Tout ce que l’on fait pour le salut des morts est inutile.
– Jésus est le seul intercesseur. Nous devons imiter les saints, non les invoquer. Leur culte est idolâtrie.
– Le clergé romain ayant perverti la doctrine et les sacrements des Apôtres et n’imitant pas leur exemple, sa succession apostolique et ses traditions ne valent pas plus que celles des pharisiens assis sur la chaire de Moïse.
– Le baptême n’est qu’un signe de régénération. La régénération n’aura lieu que lorsque l’enfant aura une foi vivante. Baptême par aspersion à trois reprises différentes sur le front. Nous ne reconnaissons d’autres sacrements que le baptême et la Sainte-Cène.
– Le mariage est dissous par l’adultère. « 

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Un tournant décisif lors du colloque de Bergame

Tourn Giorgio Les Vaudois, l’étonnante aventure d’un peuple-église Tournon/Turin Réveil/Claudiana 1980 p.28-29 :
 » En un certain sens, la rencontre de Bergame représente une ligne d’arrivée, la convergence de deux formes d’action qui, sans rien perdre de leur particularité ni de leur validité, vont dès lors œuvrer de pair. C’est aussi et surtout un point de départ car c’est le Mouvement vaudois qui naît à Bergame, comme la « societas » valdésienne était née à Lyon cinquante ans plus tôt et ce sont les Lombards qui fourniront l’organisation, les structures avec lesquelles et dans lesquelles travailler. Dès lors les Vaudois ne sont plus seulement un ensemble d’expériences individuelles et fragmentaires, des morceaux de vie, mais ils forment un tout organique. La rencontre de Bergame assume cependant une signification spirituelle qui dépasse les limites de la communauté vaudoise : ce qu’elle propose, c’est en quelque sorte une communauté chrétienne différente. C’est la réponse de l’évangélisme populaire à la théologie du 4e concile du Latran. Les problèmes théologiques dont les douze Pauvres discutent sont ceux-là mêmes dont s’est occupé le concile : l’autorité et les sacrements. La prise de position vaudoise est, sans le vouloir, une réponse à la théologie conciliaire. Rome a choisi l’autorité et la centralisation du pouvoir ; le souverain pontife et le clergé ont pour tâche de veiller à l’unité d’une Eglise qui se renouvelle et risque par là-même de se désagréger. Que la dépendance sacramentelle en soit donc le ciment, et que l’obéissance en devienne la vertu. Les Pauvres, eux, choisissent le chemin de la fraternité ; ils veulent conserver au christianisme, dans le renouvellement, ce qui depuis toujours en fait la tradition. C’est la charité qui est la vertu chrétienne par excellence et non l’obéissance. « 

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