L’ivresse du pouvoir - Aller plus loin

Le narrateur se moque

Le pouvoir totalitaire tente de ne rien laisser hors de son emprise. La critique doit alors utiliser des voies détournées pour s’exprimer. Deux de ces moyens se trouvent déjà ici : la critique du pouvoir chez des souverains antérieurs et l’humour.Sous le règne de Louis XIV, Montesquieu (1689-1755) utilisera aussi la critique indirecte du pouvoir. Ainsi, dans les Lettres persanes, roman épistolaire écrit en 1721, deux personnages persans (Uzbek et Rica) quittent la Perse pour Paris où ils découvrent les parisiens et leur système politique. Ainsi, au lieu de critiquer directement le règne de Louis XIV, il fait parler les deux « voyageurs ». Le lecteur comprend aisément qui est visé par Montesquieu. L’humour a souvent été utilisé dans les pays communistes d’Europe de l’Est comme moyen de résister : « Quelle est l’histoire la plus courte? – le socialisme – Et la plus longue? – Le chemin vers le socialisme. » (extrait du livre d’Antoine et Philippe Meyer, Le communisme est-il soluble dans l’alcool ?, Paris: Points Seuil, 1979). Le dessin animé Le roi et l’oiseau, d’après un texte de Jacques Prévert, utilise aussi l’humour pour montrer les aberrations destructrices auxquelles conduit le pouvoir totalitaire.

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Impressions de voyage

Rica à Ibben, à Smyrne.Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu’on jurerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée ; et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras.Tu ne le croirais pas peut-être ; depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne. Il n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français : ils courent ; ils volent : les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d’allure, j’enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête ; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement : un homme, qui vient après moi, et qui me passe, me fait faire un demi-tour ; et un autre, qui me croise de l’autre côté, me remet soudain où le premier m’avait pris : et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues.Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner.Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre ; et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.D’ailleurs, ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à les persuader qu’un écu en vaut deux ; et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent ; et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits. […]De Paris, le 4 de la lune de Rebiab, 2, 1712 (Juin).Montesquieu, Lettres persanes (XXIV), 1721.

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La colère de Caïn

Dans un petit ouvrage intitulé Les maladies de la vie spirituelle (Lyon : Réveil Publications, 2000), Daniel Bourguet, pasteur et ermite, prend l’exemple de la colère de Caïn selon Genèse 4 pour montrer comment Dieu est le médecin qui prend soin de l’homme malade spirituellement. Voici quelques extraits en lien avec la colère et son traitement.

« En français, « Caïn » est le sujet de la phrase verbale « Caïn fut très irrité ». Or, dans l’expression hébraïque, il en va autrement. « Caïn » n’est pas sujet, c’est-à-dire que Caïn ne prend pas l’initiative de se mettre en colère. On ne dit pas: « Tiens! Je vais me mettre en colère! » Non! La colère vient toute seule.En hébreu, le sujet de l’expression qui nous occupe est impersonnel. On pourrait donc traduire par quelque chose comme: « Cela fut très colérique pour Caïn ». Il en est de cette expression comme si le véritable sujet voulait se tenir caché, insaisissable. Bref, Caïn n’est pas sujet, c’est-à-dire que ce qui se passe en lui ne vient pas de lui. « Ça enflamme beaucoup Caïn », voilà comment nous pourrions traduire : « Ça » l’enflamme, « ça » l’irrite, « ça » le met dans tous ses états et Caïn se trouve devant le fait accompli, devant une situation qu’il doit gérer soit en la dominant, soit en se laissant emporter par quelque chose qui le dépasse, qu’il n’a pas encore appris à contenir et dont il ignore l’origine. » (pages 42-43).
« Dieu s’approche et vient au devant de Caïn. Dieu fait le premier pas; il ne peut pas mieux faire. Il vient, en effet, se réconcilier, et par sa question, il tend la perche à Caïn, pour que celui-ci vide son sac, vide sa bile, déverse sa colère sur Dieu. Dieu sait que Caïn est en colère contre lui, il vient se réconcilier. C’est là le meilleur remède que Dieu peut offrir à Caïn pour le guérir. « Pourquoi es-tu en colère? » Dieu attend quelque chose comme: « C’est de ta faute! Tu n’avais pas à mépriser mon offrande… »Mais Caïn ne répond pas! Le drame de la colère, c’est qu’elle refuse parfois la réconciliation; la colère se referme alors sur son mal et devient rancune dans le silence… » (pages 54-55).
« Dieu dit ensuite à Caïn : « Pourquoi t’irrites-tu? Et pourquoi ton visage est-il abattu? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le » La colère n’est pas un péché; elle est le premier stade d’un processus qui peut devenir péché, mais pas forcément. […] Jusqu’à présent Caïn a dû subir son accès de colère; la colère s’est enflammée en lui. Maintenant Dieu lui révèle que c’est à lui, Caïn, d’intervenir, qu’il est à un carrefour et qu’il peut intervenir sur le processus de la colère: « Si tu agis bien… si tu agis mal… »: tel est le carrefour. « (page 56) » Dieu parle ici du péché comme étant en train de se coucher à la porte de Caïn, c’est-à-dire au dehors, à l’extérieur de chez lui, ce qui signifie que Caïn n’a pas encore eu de relation avec lui. Etre en colère n’est pas un péché. La colère peut déboucher sur un péché, mais pas forcément. Cela montre bien un certain décalage entre une situation présente, qui relève du médecin (le début de la crise de la colère), et la suite éventuelle qui relève du juge (le péché). Le médecin passe avant le juge, et nous découvrons même que Dieu médecin prévient, fait tout pour que le juge n’ait pas à intervenir.La colère a commencé par s’extérioriser dans des paroles avortées, avant de passer à des actes. C’est un processus assez classique. L’homme en colère commence par déverser son ardeur malade dans des paroles sans signification, mais déjà fortes, puis dans des actes encore plus violents, jusqu’à atteindre une violence extrême, comme ici. La progression de la violence a son origine dans l’ardeur de Caïn, une ardeur excitée par la colère jusqu’à devenir meurtrière. Dans ce meurtre la colère est assouvie, comme si le péché séducteur avait fait l’amour avec Caïn: excitation jusqu’à son paroxysme; puis la colère s’en va, satisfaite, laissant Caïn sans force, seul.Contre cette escalade, le remède indispensable était bien sûr la maîtrise de soi; elle aurait enrayé le processus. Maîtriser ses actes est très difficile pour un homme en colère. Le mieux est de maîtriser d’abord ses paroles, avant que la colère soit trop forte. Mais avant cela encore, Caïn pouvait maîtriser ses pensées, car c’est à ce niveau-là qu’on laisse entrer ou non la bête installée devant la porte du cœur, la porte des pensées. Maîtriser ses pensées: c’est bien à ce niveau-là que Dieu est intervenu, au niveau du cœur, au moment où la maîtrise de soi est la plus facile. Caïn n’en a pas voulu: il a ouvert à la bête et c’est elle qui a dominé Caïn; elle a dominé son cœur, puis sa bouche, puis ses mains. Caïn n’a pas dominé sa colère, mais s’est laissé dominer par elle. Son meurtre peut être un acte incontrôlé; il est en tout cas incontrôlé par Caïn, mais contrôlé par la colère. La colère a fait faire à Caïn ce qu’elle voulait, même ce que Caïn ne voulait sans doute pas. Caïn s’est fait posséder par la colère, posséder par ce démon. » (pages 70-71).

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Socrate et la maîtrise de soi

Xénophon, écrivain grec qui a connu Socrate, le présente comme un homme maître de lui, tempérant et recommandant la tempérance ou la maîtrise de soi. »1. S’il est vrai que la tempérance aussi soit pour l’homme une belle et utile acquisition, examinons s’il (= Socrate) faisait faire des progrès dans cette vertu, quand il disait: ‘Mes amis, s’il nous survenait une guerre et que nous voulions choisir le plus propre à nous sauver et à soumettre les ennemis, irions-nous choisir celui que nous saurions esclave de son ventre, du vin, des plaisirs de l’amour, de la mollesse et du sommeil? Comment penser qu’un tel homme puisse nous sauver ou vaincre nos ennemis? 2. Et si, arrivés à la fin de notre vie, nous voulions charger quelqu’un d’élever nos garçons, de garder l’honneur de nos filles, de sauver nos biens, est-ce que nous croirions l’homme intempérant digne d’une telle confiance? Confierions-nous à un esclave intempérant nos troupeaux, nos celliers, la surveillance de nos travaux champêtres? Consentirions-nous même à prendre gratuitement un tel esclave pour nous servir et acheter nos provisions? 3. Mais puisque nous ne voudrions pas même d’esclave intempérant, n’est-ce pas un devoir pour le maître lui-même de se garder de l’intempérance? Il n’en est pas en effet de l’intempérant comme de l’avare. Celui-ci, en prenant le bien des autres, croit s’enrichir lui-même. L’intempérant, en nuisant aux autres, n’y gagne rien pour lui-même; au contraire, s’il fait du mal aux autres, il s’en fait plus à lui-même, puisque c’est le comble du mal de ruiner, en même temps que sa maison, son corps et son âme. 4. Et, dans le commerce de la vie, qui peut se plaire avec un homme qu’il sait plus attaché à la bonne chère et au vin qu’à ses amis et qui aime mieux les prostituées que ses camarades? N’est-ce pas un devoir pour tout homme qui regarde la tempérance comme le fondement de la vertu, de l’affermir d’abord dans son âme? 5. Car, sans elle, qui peut apprendre quelque chose de bien et le mettre en pratique dignement? Quel homme esclave de ses passions ne dégrade pas honteusement son corps et son âme? Il me semble à moi, par Hèra, qu’un homme libre doit souhaiter de n’avoir pas un tel esclave et que celui qui est asservi à ses passions doit demander aux dieux de tomber sur des maîtres vertueux, car c’est le seul moyen qu’il ait de se sauver’.6. Voilà ce qu’il disait et il se montrait encore plus tempérant dans sa conduite que dans ses paroles; car il était maître non seulement des plaisirs des sens, mais encore de ceux que procure la richesse. Il pensait qu’en recevant de l’argent de n’importe qui, on se donne un maître et qu’on se condamne à la plus honteuse des servitudes. » Xénophon, Les Mémorables, livre I, chapitre 5, traduction Pierre Chambry, Paris : Garnier Flammarion, Œuvres complètes, volume 3, 1967, p. 307-308.

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Philon d'Alexandrie

La culture hellénistique influence la vie juive, tant dans l’éducation que dans la réflexion. Philon d’Alexandrie l’approuve : son œuvre est en effet un essai de synthèse entre les traditions juives et la culture hellénistique. Il écrit : « Les parents rendent service au corps des enfants, en les entraînant à la gymnastique et aux exercices physiques, pour leur permettre d’acquérir la vigueur, la santé et une aisance, empreinte d’équilibre et de grâce, dans les attitudes et les mouvements; et à leur âme en les initiant à la grammaire et à l’arithmétique, à la géométrie et à la musique, ainsi qu’à la philosophie tout entière, laquelle élève dans les hauteurs l’esprit installé dans le corps mortel, l’escorte jusqu’au ciel, ou elle lui montre les créatures qui jouissent du bonheur et de la félicité, en suscitant en lui une aspiration passionnée vers cet ordre immuable et harmonieux dont cette armée, soumise aux ordres de son chef, ne s’écarte jamais »

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