Moïse - Clés de lecture

Moïse faisait paître le petit bétail de Jéthro

La figure du berger, sujet d’une sollicitation divine, est un motif familier dans l’Ancien Testament. Il rappelle la figure du patriarche, Jacob, berger au service de Laban, son beau-père (Genèse 29-31) comme Moïse l’est au service de son beau-père. Il évoque David, berger chez son père Jessé en 1Samuel 16, avant de devenir roi d’Israël. Que Moïse soit berger pourrait paraître anodin et normal, mais pour le narrateur, voilà une manière de préparer le lecteur à la vie extraordinaire de Moïse. Dans le corpus biblique, cette fonction indique déjà les prérogatives de Moïse. Il va occuper une fonction royale et devenir le seul médiateur et le législateur légitime, lorsqu’Israël n’aura plus aucune institution.
Jéthro est prêtre en Madian. La divinité à laquelle Jéthro est attachée n’est pas nommée. La suite du récit suggère pourtant que Jéthro est prêtre de Yhwh (Genèse 18) puisque son serviteur Moïse conduit son troupeau à la montagne de Dieu. Le livre de l’Exode souligne avec bienveillance la parenté matrimoniale et la connivence spirituelle des Madianites avec les Israélites.

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La montagne de Dieu

Moïse semble arriver fortuitement à la montagne de la divinité. Mais le récit n’indique-t-il pas par ce déplacement une quête ? Quoi qu’il en soit, la montagne devient le cadre de tout le récit qui se développe jusqu’en Exode 4,17. La montagne est le lieu d’une rencontre surprenante et d’une manifestation inattendue de Dieu. Dans la suite du texte, la montagne va représenter l’anti-Egypte pour les Israélites, le symbole de la mission réussie et de la libération accomplie. En effet sur cette montagne, les Israélites serviront Dieu et ne seront plus serviteurs (esclaves) des Egyptiens. La montagne et le service de Dieu sont signes de la liberté retrouvée. C’est donc un lieu de première importance dans les livres bibliques. Sur cette montagne, Dieu donne à Israël la loi qui lui permet de vivre cette liberté retrouvée, Exode 20.
Par cette première action qui le mène du désert à la montagne, Moïse préfigure-t-il et anticipe-t-il le cheminement du peuple d’Israël qui passera du désert à la montagne Le nom signifie "sécheresse" et désigne en alternance avec le nom de la montagne sur laquelle Dieu donne la loi à Israël en Exode 19. La désignation Horeb se trouve le plus souvent dans le Deutéronome et les textes apparentés au Deutéronome. du Sinaï Le terme est rapproché du nom Sin qui était le nom d'une divinité lunaire en Mésopotamie et en Arabie, Exode 16,1. Il désigne le massif montagneux au sud du Néguev dans la péninsule du Sinaï dominée par le Djebel Moussa (montagne de Moïse). en Exode 17-19 ?

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Le buisson ne se consumait pas

En Exode 3,3-4, Dieu se manifeste à Moïse de deux manières, par la vision d’un « feu flamboyant », et par une parole. Comme bien des théophanies Ce mot d'origine grecque veut dire "Manifestation de Dieu" ou encore "Révélation de Dieu". de l’Ancien Testament, il y a là une manière solennelle d’inaugurer une nouvelle histoire et de faire rebondir une situation difficile. Moïse est un fuyard, un migrant, le nom de son enfant en Exode 2,22 dit sa situation, cet enfant s’appelle « Guershom » (« immigré »), car dit-il, « je suis un immigré dans un pays étranger ».
La figure de Yhwh YHWH ne comporte pas de voyelles en hébreu. Il vient de l'hébreu "hava" qui signifie "être" ce nom signifierait "celui qui était, est et sera". sous la forme d’ange (ou de messager) de Dieu se retrouve dans bien des récits : Genèse 18,1s et 28,12. Il y a une contradiction avec le v.6 qui note que Moïse s’est voilé le visage pour ne pas voir Dieu. Cette mention fait allusion à Ex 33,20 où il est indiqué que l’être humain ne peut voir Dieu et vivre. Les textes bibliques se posent la question de la manière de vivre devant Dieu. Les Israélites auront le privilège unique de vivre en sa présence et de voir Dieu en Exode 24,10. Une situation qui ne se renouvellera plus. Les textes bibliques soulignent que Dieu se laisse approcher sans se laisser véritablement voir, Exode 33,18-19. Il y a là une manière de dire l’altérité de Dieu et son caractère insaisissable.
Le feu qui « brûle et ne brûle pas » indique que Dieu est maître de l’élément, ce qui provoque l’étonnement de Moïse et le conduit à s’approcher. Cette flamme qui ne s’éteint pas symbolise la vie renaissante. Du milieu du buisson Dieu rattrape Moïse en l’appelant. C’est en raison de cet appel qu’Exode 3,1-15 est un récit de vocation. Le « je suis là » ou « me voici » de Moïse indique l’obéissance ou la disponibilité, cette attitude est comparable à celles d’Abraham et d’Isaac en Genèse 22 ou à celle de Samuel en 1Samuel 3. Cette réponse fait de lui un serviteur de Dieu. Dans le cadre des déplacements de Moïse, ce dernier est parti d’Egypte pour Madian et son voyage vers l’Horeb l’éloigne de l’Egypte. De l’Horeb, Dieu va le renvoyer vers l’Egypte pour libérer son peuple. Le buisson qui brûle et ne brûle pas fonctionne comme un « sens interdit ». Moïse ne peut aller plus loin et le fait de « retirer ses sandales » indique d’une certaine manière que le déplacement dans ce sens s’arrête. Moïse ne peut plus s’éloigner de l’Egypte.

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Sandales

Les commentateurs juifs, se référant au danger de marcher pied nu dans le désert, rappellent…: « Jamais un serpent ou un scorpion n’a blessé qui que ce soit dans la Ville Sainte, et c’est dans ce sens que nous devons comprendre l’injonction divine faite à Moïse : « ôte tes chaussures » – ici ne crains point la morsure des serpents car l’endroit où tu te trouves est un sol sacré, il te protège de tout danger. »
Certaines explications font valoir le fait que les chaussures fabriquées en peau d’animaux (morts) étaient considérées comme impures. Ce texte a un équivalent et s’inspirerait de Josué 5,13-15.

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Terre sacrée

Dans le reste des cinq premiers livres de la Bible il ne sera jamais plus question du « retrait des sandales » qui demeure donc une singularité. Ce rite est une manière de souligner la sainteté de la montagne sur laquelle Moïse se trouve, et de signifier l’altérité de Dieu. Ce geste peut être déjà considéré comme le signe d’une grande proximité de Moïse avec Dieu. Moïse est celui qui demeure près de Dieu, chez Lui, et de nombreux passages diront cette proximité de Dieu et de Moïse.
Le récit introduit ici le motif de la sainteté liée à la présence de Dieu. C’est un thème qui court dans le livre de l’Exode et qui sera développé essentiellement dans la dernière partie du livre qui concerne la construction du sanctuaire où Dieu doit demeurer (Ex 25-40). Le motif de la présence de Dieu au milieu d’Israël est développé dans le récit de la fabrication du taurillon en or en Ex 32-34. La question de ceux qui composent ces textes est de savoir comment Dieu qui est saint peut être présent au milieu d’un peuple enclin à pécher. La présence de Dieu et l’approche de la sainteté divine nécessitent des médiations, celles des prêtres et d’un certain nombres de rites.
Le v.6 présente et nomme la divinité qui apparaît à Moïse. Jusqu’à présent seul le lecteur connaissait la divinité qui était apparue dans le buisson. Cette présentation mentionne le nom des patriarches. La tension entre le singulier, « ton père », et la mention plurielle des patriarches : le dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, indique que le narrateur veut identifier le Dieu de Moïse au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Pointe ici le souci de dire la continuité et l’unité de Dieu et d’Israël.
Conformément à Ex 33,20, Moïse ne voit pas Dieu. L’épisode annonce le renouvellement de l’alliance en Ex 32-34.

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Les cris

Les versets 7-8 décrivent la situation d’oppression que subit Israël en Egypte. Face à cette situation, Dieu est celui qui « entend le cri ». Il y a là une « caractérisation » de Dieu qui parcourt les textes bibliques. Cette représentation du « Dieu qui écoute la détresse » reflète une expérience religieuse forte. En regardant le passé, Israël constate que Dieu fut présent au creux des situations les plus difficiles et qu’il a ouvert un avenir malgré les catastrophes de l’histoire. Cette promesse annonce la sortie d’Egypte racontée en Exode 14.
La formule « mon peuple » est utilisée ici pour la première fois pour qualifier Israël. Israël devient le peuple de Dieu en Egypte par l’intervention gracieuse de Dieu qui le « fait monter ». Une des origines d’Israël se situe en Egypte avec cette tradition d’une libération socio-politique d’un groupe d’esclaves. Plusieurs témoins bibliques font naître Israël en Egypte au moment où Dieu choisit d’intervenir Ezéchiel 20,5-7. Selon Osée, le lieu de la rencontre entre Israël et Yhwh : c ‘est l’Egypte, Dieu est devenu Dieu d’Israël en Egypte, Osée 12,10.

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Le pays ruisselant de lait et de miel

En Exode 3,8, le but de la libération est d’atteindre un bon et vaste pays. L’expression utilisée « ruisselant de lait et de miel » est fréquente dans l’Ancien Testament, elle dit la prospérité du pays vers lequel Israël s’engage. Un prospérité et une abondance dont Dieu est le garant, ce qui correspond tout à fait à la représentation de Dieu comme « Dieu climatique », maître du feu.
Le pays promis est déjà habité par six peuples. Ces noms sont ceux d’ethnies qui constituaient le plus souvent des petits royaumes autour d’une cité principale. On appelait ce mode d’organisation : les cités-états. Ainsi Jérusalem était tenue par les Jébusites avant la prise de la ville par David autour de l’an 1000 av. JC (2Samuel 5). Ces peuples sont ceux que les Israélites vont affronter au moment d’entrer dans le pays. Certains de ces noms sont connus, d’autres moins. La liste de ces peuples est plus symbolique qu’historique et en les nommant le compositeur insiste sur l’origine étrangère d’Israël. Israël n’est pas issu de Canaan. Cette façon de représenter Israël est en tension avec l’idée qu’Israël a des racines claniques en Canaan (cf. les traditions patriarcales de la Genèse)

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Habitent

La liste des noms de peuples se trouve également à plusieurs reprises dans le Deutéronome et dans le livre de Josué. Il s’agit d’une liste stéréotypée de six ou sept noms qui connaît quelques variantes. Elle désigne essentiellement les occupants originels de la terre de Canaan qu’Israël combat lors de l’installation dans ce pays. En Deutéronome 7,1, il s’agit des peuples que Dieu chasse devant Israël ou encore des peuples avec lesquels Israël ne peut avoir de relations matrimoniales (refus de se marier avec les habitants du pays). Ils constituent une menace plus symbolique qu’historique et servent de faire valoir à une théologie d’exclusion qui engage Israël à servir Dieu seul et à ne pas avoir de contacts avec ces peuples pour ne pas emprunter leurs cultes et leurs pratiques

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Maintenant, va !

Après la manifestation divine et l’annonce du projet libérateur, Dieu ordonne à Moïse de partir. Avec les versets 10 à 15, commence la série des objections de Moïse à être l’envoyé de Dieu. Moïse pose la question de sa compétence. Dieu l’assure de sa présence à ses côtés. Le service fidèle de Dieu sera un mémorial de la libération reçue. La montagne représente bien l’anti-Egypte, puisque le service de Dieu s’oppose ici directement à la servitude d’Egypte. Lorsque Israël célèbre son Dieu, il dit sa reconnaissance pour la liberté retrouvée. C’est l’essence même du culte rendu à Dieu dans lequel le célébrant dit sa reconnaissance pour la grâce et la liberté reçues. Moïse anticipe la libération d’Israël.
Mais Moïse ne se satisfait pas de l’assurance de la présence de Dieu à ses côtés et pose la question de sa légitimité par rapport aux « fils d’Israël » qui sont nommés ici. Pour Moïse, l’enjeu après le dialogue avec Dieu est de persuader le peuple que Moïse est un envoyé de Yhwh. D’où la question de l’identité de Dieu. Qui t’envoie ? De quel Dieu Moïse est-il le messager ?
Les versets 9-12 constituent un récit de vocation selon une forme maintes fois observée dans les récits d’envoi des prophètes. Cette manière de présenter la vocation de Moïse fait de lui le premier prophète. Dans la suite du Pentateuque, Moïse est considéré comme le prophète par excellence, Deutéronome 34,10. Au v.12, « aller vers le pays » signifie aussi y servir Dieu. Le but de la libération dépasse la seule levée de l’oppression. Le signe même de la libération, c’est le service de Yhwh opposé à la servitude ; le service de Dieu est l’horizon de la libération. Ce verset associe Exode et culte de Dieu à l’Horeb. Ainsi, le peuple est appelé de la servitude au service.
Le récit d’Ex 3,9-12 prépare la tâche de Moïse. Il sera successivement libérateur puis législateur, il donne à Israël la loi de Dieu. Il sera aussi médiateur entre les Israélites et Dieu, c’est lui qui intercède à plusieurs reprises pour le salut des Israélites

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Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous

Le questionnement des Israélites porte moins sur la compétence de Moïse que sur l’identification de Celui qui l’envoie. Le Dieu de l’Horeb est-il le même que le Dieu des pères des Israélites ? Cette identification ouvre un long développement qui se poursuit au delà d’Ex 3,15 jusqu’en Ex 4,17.

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Je serai qui je serai et le nom de Yhwh

L’explication donnée à Moïse par Dieu indique que Son nom est indéterminé : « je serai qui je serai« . Cette formule, sans être un véritable nom propre, dit de Dieu qu’il demeure autre et insaisissable. Avec cette explication, l’identité de Dieu se décline dans une relation privilégiée à un peuple particulier par rapport à son passé, à son présent et à son avenir. Yhwh se donne à connaître dans l’histoire même de son peuple.
Le nom de Yhwh porte sur la racine être, hâyâh conjuguée à l’inaccompli de la première personne. Le mode inaccompli en hébreu est ce qui concerne le présent et le futur, ce sont les actions en cours. Le Dieu qui se révèle n’est pas un « dieu paresseux », mais il apparaît dans une dynamique et une promesse que le narrateur révèle sans pouvoir la saisir. Cette façon de se présenter dans une dynamique et dans une forme d’indétermination est une manière de dire que Dieu échappe à la mainmise de l’homme, mais qu’il est maître de l’histoire et qu’il va entrer an conflit avec l’Egypte. C’est Lui qui garde l’initiative de la rencontre (v.12) et le mystère de son Nom. Il s’affirme comme le Dieu autre. La formule dit bien l’altérité de Dieu.

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