Violence, de quoi parle-t-on? - Espace temps

Platon (environ 427-347 av. JC)

Le Callidès : Frappé par la mise à mort injuste de Socrate, Platon a beaucoup réfléchi sur la violence. Ce dialogue met Socrate en difficulté face à la posture de Callidès, qui soutient  » la raison du plus fort « . Platon montre la faculté de  » justification  » (fût-ce par le mensonge cynique) que donne la force. Il montre aussi que la violence et le mensonge font couple, sont inséparables.

Revenir à la page précédente
Pierre Bayle (1647-1706)

Dictionnaire historique et critique : En dressant cette histoire monumentale et fragmentaire des violences et des mensonges de l’histoire, Bayle part d’une conception calviniste relativement pessimiste de l’homme :  » il préfère se faire du mal pourvu d’en [c’est-à-dire :  » s’il le faut pour ainsi en « ] faire à son ennemi plutôt que de se procurer un bien qui tournerait aussi à l’avantage de son adversaire « . Calviniste aussi l’idée qu’il faut cependant aimer l’homme tel qu’il est, avec sa violence.

Revenir à la page précédente
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

L’origine de l’inégalité parmi les hommes : Pour Rousseau, les violences ne sont pas  » naturelles  » (essentielles, constitutives) mais historiquement dues aux formes prises par nos sociétés. On peut donc critiquer cette évolution puisqu’elle n’est pas une fatalité et proposer une refondation non-violente de la société.

Revenir à la page précédente
Emmanuel Kant (1724-1804)

Critique de la raison pratique et Petit traité historique : du point de vue de la raison pratique, la violence est interdite parce qu’elle traite autrui comme un moyen et non comme une fin. Mais du point de vue historique, les conflits, les discordes et même les guerres (qui  » font plus de méchants qu’elles n’en suppriment « ) ont eu pour effet bénéfique de disperser l’humanité, d’en augmenter la variété et la libre communication.

Revenir à la page précédente
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831)

La phénoménologie de l’esprit : Hegel a fait de la dialectique, c’est-à-dire de la lutte entre le maître et l’esclave, le cœur battant de l’histoire humaine, qui est tout entière un drame de la reconnaissance. La violence y joue un rôle central car c’est elle qui oblige les êtres à se modifier, elle introduit en eux le conflit de l’ancien qui fait place au nouveau. Mais Hegel est aussi le penseur du Droit, de l’institution qui structure ce conflit et lui donne une forme historique.

Revenir à la page précédente
Arthur Schopenhauer (1788-1860)

Le monde comme volonté et comme représentation : En dévoilant que le fond de la réalité est énergie et volonté, vouloir-vivre, Schopenhauer fait de la lutte pour la vie le ressort du monde. Pour échapper au cycle infernal de cette violence et de cette souffrance, il faut se détacher du vouloir-vivre, par la compassion et par la contemplation.

Revenir à la page précédente
Friedrich Nietzsche (1844-1900)

La généalogie de la morale : à l’inverse de Schopenhauer, Nietzsche estime que la lutte pour la vie est l’élément de la créativité et de la joie. À cette violence active, il oppose une violence  » réactive  » et malade, méchante, pleine de ressentiment, une violence qui veut la mort et le néant, et non l’affirmation de la vie : dans leurs systèmes judiciaires et religieux, punitifs, nos sociétés sont des  » systèmes de cruauté « .

Revenir à la page précédente
Sigmund Freud (1856-1939)

Malaise dans la civilisation : Le conflit entre la pulsion de vie (eros) et la pulsion de mort (thanatos) est, pour le fondateur de la psychanalyse, à la fois la confrontation fondamentale de la vie psychique et le drame qui traverse la vie collective. La civilisation ne réprime et  » sublime  » les pulsions destructrices qu’en faisant de même avec les pulsions de vie. Il en résulte un malaise qui s’installe inévitablement dès qu’il y a civilisation, culture.

Revenir à la page précédente
Georg Simmel (1858-1918)

Le conflit : Dans ce petit traité, remarquable par ses analyses de la jalousie, le sociologue allemand montre que la violence se déclenche quand la société veut revenir à l’unité, ne supporte plus autant de tensions, de discordes, de disparités.

Revenir à la page précédente
Georges Bataille (1897-1962)

La part maudite et Théorie de la religion : parce que nous devons dépenser et détruire en pure perte les excédents (économiques, démographiques, culturels) qui ne peuvent pas servir à la croissance du système, les sociétés qui savent  » dépenser  » leur violence sont moins violentes que celles qui veulent la contenir, la canaliser et la réinvestir dans un surcroît de puissance. La fin des religions sacrificielles ouvre un âge de guerres de plus en plus terribles.

Revenir à la page précédente
Simone Weil (1909-1943)

Œuvres : Dans  » L’Iliade ou le poème de la force  » (non publié en 1940), elle montre que la force inhumaine s’empare tour à tour de chacun des protagonistes, réduit ceux qui lui font face à des objets, et l’emporte au-delà du seuil où chacun des protagonistes devient cadavre. Les humains retrouveront  » le génie épique quand ils sauront ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force, ne pas haïr les ennemis, et ne pas mépriser les malheureux « .

Revenir à la page précédente
Paul Ricoeur (1913-2005)

Histoire et vérité : Face à  » la tentation terrible de la bonté « , Ricoeur estime que la violence accompagne l’histoire jusqu’au dernier jour, et qu’il faut donc instituer et  » armer  » le magistrat, tout en écoutant la protestation non-violente. C’est que la violence n’est pas seulement une question morale et individuelle, mais qu’elle traverse les grands registres économiques, politiques et culturels de notre existence collective.

Revenir à la page précédente
René Girard (1923-...)

La violence et le sacré : toute société est fondée sur une violence primitive, issue du désir mimétique. Cette violence prend la forme de l’exclusion d’un bouc émissaire. Elle est ensuite ritualisée sous forme de sacrifices symboliques et finalement occultée et refoulée dans l’intérêt de tous. Selon Girard, Jésus a été crucifié pour avoir  » vendu la mèche « , dévoilé et rendu inopérant le mécanisme du bouc émissaire.

Revenir à la page précédente
La violence, une notion relative

Les formes de violence sont appréhendées différemment selon les cultures.
Ainsi nous paraissent cruelles des coutumes qui font partie de la norme de certaines sociétés traditionnelles. Les scarifications, par exemple, qui consistent à entailler la peau, parfois à introduire sous la peau des petits cailloux. Ce marquage indélébile a trois fonctions : déterminer l’appartenance à un groupe social constitué (tribu, clan, lignée, famille), relier les individus à un élément surnaturel supérieur (divinité, ancêtre disparu, animal totémique), satisfaire à des critères esthétiques locaux. L’idée d’initiation et de douleur revêt une grande importance car elle permet à l’individu d’accéder à une réalité supérieure, de rejoindre les génies protecteurs et les ancêtres disparus. Dans ces sociétés traditionnelles, ces coutumes ne sont pas perçues comme violentes.
La question des châtiments corporels est très différente selon les cultures. Certains pays pratiquent la loi du talion, d’autres les mutilations, une main coupée pour un voleur ou des coups de fouet. La peine de mort divise les Etats.
De même qu’il y a des différences de perception de la violence d’une culture à l’autre, son appréciation varie aussi selon les périodes de l’histoire, à l’intérieur d’une même culture. En Europe, par exemple, les enfants, les animaux, ne sont plus les cibles traditionnelles de la violence qu’ils étaient encore au 19e siècle, les châtiments corporels diminuent et les combats d’animaux disparaissent. Les coups portés aux enfants, à l’école ou en famille, sont désormais punissables. On est devenu sensible aux violences conjugales. On ne pratique plus le duel. Plus difficile est le repérage de ce qui, dans notre société actuelle, paraîtrait  » violent  » pour nos ancêtres !

Revenir à la page précédente
La peine de mort

Dans le monde, le rapport à la peine de mort est très variable selon les pays. Ceux-ci peuvent être classés en différentes catégories selon la situation de la peine de mort dans la législation et dans les faits.

  • Des pays abolitionnistes. Ces Etats ont aboli la peine de mort en droit pour tous les crimes. Au 1er janvier 2003, Amnesty International recense dans cette catégorie 76 pays, soit 39 % des pays de la planète. La France fait partie de cette catégorie depuis 1981.

  • Des pays abolitionnistes pour les crimes de droit commun. Ces Etats prévoient l’application de la peine de mort uniquement pour les crimes exceptionnels (par exemple les crimes prévus par la justice militaire ou les crimes commis dans des circonstances exceptionnelles : en temps de guerre,…). Ils n’ont souvent procédé à aucune exécution judiciaire depuis longtemps. 15 pays (8 %).

  • Des pays qui prévoient la peine de mort dans leur législation sans toutefois l’appliquer dans les faits. Ces Etats conservent la peine de mort dans leur législation, mais ils n’ont procédé à aucune exécution judiciaire depuis au moins dix ans et n’ont pas l’intention affirmée de recommencer dans l’immédiat. 21 pays sont ainsi abolitionnistes en pratique (11%).

  • Des pays qui pratiquent la peine de mort. Ces Etats prévoient la peine capitale dans leur législation et l’appliquent dans les faits. On recense 83 pays non abolitionnistes (42 %) dont les Etats-Unis et la Chine. En 2003, 84 % des exécutions recensées ont eu lieu en Chine, aux États-Unis, en Iran et au Viêt-Nam

Revenir à la page précédente
La loi du talion

 » Vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied « … Ainsi est formulée la loi du talion dans la Bible, en Deutéronome 19,21b. Il s’agit au départ d’un principe juridique visant à juguler la violence. La vengeance démultiplie la violence, ainsi qu’en témoigne Lamech, descendant de Caïn, qui disait :  » Un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure  » (Genèse 4,23). La loi du talion oppose au désir de vengeance un autre principe :  » Blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure  » (Exode 21,25). Le talion s’oppose ainsi aux pulsions de l’homme offensé, en limitant la punition à une recherche d’équivalence.
À l’époque de Jésus, quelques sadducéens défendent encore le principe du talion. Mais dans la pratique deux autres principes juridiques sont appliqués. Celui de la réparation, sous forme d’amende ou de compensation, comme le demande Exode 21,26 et suivants, dans le contexte immédiat du talion :  » Quand un homme frappera l’œil de son serviteur ou l’œil de sa servante et l’abîmera, il les laissera aller libres, en compensation de leur oeil « . Et celui d’une punition en rapport au tort causé sans lui être complètement équivalente.
Jésus, dans le sermon sur la montagne, intériorise la loi du talion pour la mener à sa radicale impossibilité, ouvrant ainsi une place à une autre forme de justice, basée sur le pardon, c’est-à-dire sur la relation à retisser avec l’offenseur :  » Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil et dent pour dent. Et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre  » (Matthieu 5,38-39). Il ne s’agit pas là de se soumettre à la violence, soit en la multipliant (rendre la gifle) soit en s’écrasant devant le plus fort, mais de lui opposer autre chose que la violence, un acte qui surprend et arrête la main du violent.

Revenir à la page précédente
Remus et Romulus

La fondation de la ville de Rome est basée sur la légende de deux frères, Remus et Romulus, dont l’un tue l’autre. La ville est ainsi fondée sur un crime, elle naît dans un acte de violence.
Selon la tradition, Rhea Silvia, prêtresse de Vesta, fille de l’ancien roi d’Albe Numitor, devait rester vierge. Séduite par le dieu Mars, elle a des jumeaux que leur grand-oncle Amulius, qui avait usurpé le trône, décide d’exposer sur les eaux du Tibre. Leur berceau s’échoue et une louve les sauve de la mort en les allaitant. Le berger Faustulus les recueille ensuite dans sa chaumière. Romulus et Remus décident de fonder une ville sur le Palatin. Pour en trouver le nom, ils recourent aux auspices : le premier, Remus aperçoit 6 vautours ; Romulus en voit 12 à la fois, mais après son frère ; du coup, la ville prend son nom : Rome. Romulus trace un sillon marquant ses limites. Remus, vexé de ne pas être roi, franchit le sillon par défi. Romulus le tue.
La grotte (Lupercal) où vivait la louve et la cabane du berger devinrent des lieux de pèlerinage. Une grande fête de purification, les Lupercales, avait lieu chaque année ; un groupe d’hommes, les Luperci, hommes-loups, couraient sur le Palatin après les femmes et les fouettaient pour les rendre fertiles.

Revenir à la page précédente
Récits mésopotamiens de création

A Eridou en Mésopotamie, la création de l’humanité répond au besoin de libérer les dieux de leur fardeau et de l’imposer à l’homme :  » Que l’on égorge un dieu… Avec la chair et le sang de ce dieu, que Nintou mélange de l’argile, afin que le dieu même et l’homme se trouvent mélangés ensemble dans l’argile.  » L’homme est ainsi destiné à apaiser les dieux :  » Vous m’aviez ordonné une tâche : je l’ai achevée. Vous avez égorgé un dieu avec son intelligence. J’ai supprimé votre travail si pénible, et votre dur labeur, c’est à l’homme que je l’ai imposé. Vous avez transféré la plainte à l’humanité : (pour vous) j’ai délié le joug, j’ai établi la liberté.  »
À Babylone, dans le cycle de Mardouk, l’humanité naît également du sang d’un dieu mis à mort :  » Que soit livré un seul d’entre les dieux, que lui seul soit détruit, que le coupable soit livré pour que vivent les autres. […]. C’est Kingou qui a engendré le combat, a fait se révolter Tiamat… On lui trancha le sang et, de son sang, Ea créa l’humanité.  »
L’origine de l’homme est ainsi posée dans une violence initiale. On mesure la différence avec les récits bibliques de création (Genèse 1 et 2) qui, issus du même bassin culturel, présentent la création comme belle, bonne, paisible, l’homme en étant le centre et le responsable (Genèse 1,27-28)

Revenir à la page précédente