Fidélité fragile et solide - Contexte

Une durée ouverte aux changements

On considère souvent que la fidélité, l’amour dans la durée, suppose qu’aucune difficulté ne survienne dans la relation du couple. Surtout dans une culture où le rapport au temps est devenu problématique, où seuls le présent et l’éphémère semblent compter. Chacun(e) cherche, dans l’instant, l’épanouissement de ses désirs, n’acceptant ni les déceptions, ni les frustrations. Du coup, tout manque, tout problème dans la relation est alors ressenti comme une menace pour le couple. Ainsi, écrit Daniel Sibony  » quand l’épreuve du manque arrive, tout craque. Le couple était donc constitué comme une alliance militaire contre l’invasion possible du manque ; quand celui-ci pénètre dans la citadelle, c’est l’écroulement.  » Le couple ne peut résister si survient une défaillance par rapport à ce qui était attendu. Au moindre signe de difficulté ou de médiocrité, dès lors que l’autre n’apporte pas les satisfactions attendues, on se sent autorisé à rompre un lien devenu négatif ou stérile. Or la véritable fidélité est fidélité à l’autre tel qu’il est et non pas fidélité à l’image que l’on a de lui.

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Gestes symbolique

La célébration civile du mariage donne sa forme juridique au pacte conjugal. Elle instaure le couple dans sa dimension sociale qui suppose les droits et les devoirs mutuels des époux. Il y a dans le  » rendre public  » une dimension symbolique forte : celle de manifester que le couple ne s’enferme pas dans un simple face-à-face mais qu’il se situe dans le champ social. Cette référence à une Parole Autre, qui n’est ni celle de l’époux, ni celle de l’épouse, est aussi un des éléments importants de la cérémonie religieuse. La célébration religieuse du mariage n’est pas un autre mariage, mais un mariage  » autrement  » que l’on fonde sur la Parole du Christ. Il y a, toutefois, de la conjugalité en dehors des liens du mariage. Un regard sur le passé et le présent montre une grande diversité des formes de conjugalité.

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Pas un autre mariage

Pour les Eglises protestantes, le mariage n’est pas un sacrement comme le baptême et la sainte cène. Nulle part Jésus n’institue le mariage. Les protestants considèrent aussi que l’état de mariage dépasse les frontières des Eglises chrétiennes et qu’on ne peut mettre en question la validité et la dignité d’autres formes de conjugalité qui existent en-dehors d’une cérémonie ecclésiale. Le mariage ne saurait se réduire à un acte qui marquerait son commencement : il est le fruit de tous les engagements progressifs, publics ou privés (mots et gestes d’amour, projets en commun, promesses échangées…) par lesquels un homme et une femme se lient l’un à l’autre. La cérémonie civile du mariage rend publique cette évolution et l’engagement du couple dans la durée. Les Eglises protestantes ont toujours encouragé et valorisé cette cérémonie publique qui inscrit le couple dans sa dimension sociale. On peut alors s’interroger :  » si l’état de mariage est valablement constitué par la seule et libre décision des conjoints, et si le mariage civil est un lieu légitime de manifestation publique de cette nouvelle vie choisie en commun, en quoi est-il utile d’organiser une célébration religieuse ?  » (Jean Ansaldi)

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Le rapport au temps

Dans notre culture, le rapport au temps est devenu problématique. La société semble ne plus disposer d’une mémoire vivante ; la continuité avec le passé est rompue. L’avenir est incertain, indéchiffrable et ressenti comme inquiétant. Seuls le présent et l’éphémère semblent compter. On parle de  » culte de l’urgence « , de  » tyrannie de l’instant « . On veut tout, tout de suite. Pris dans  » une course paradoxale qui ne sait plus où elle va mais y va de plus en plus vite, dans la frénésie d’une cavalcade angoissée et déshumanisante (…) nous ne sommes plus portés par une représentation du futur mais emportés par une impatience obligatoire  » (Jean-Claude Guillebaud).
Du coup, on ne supporte plus l’attente, on pense que tout se joue dans l’instant sans laisser de temps aux changements, aux évolutions, aux maturations, aux reconstructions. On habite en effet une époque où la lenteur, l’inscription dans la durée, la persévérance, sont contraires à nos logiques. On a du mal à consentir à la durée d’une fidélité parce qu’on a du mal à nouer un rapport au temps qui ne soit pas seulement celui de l’éphémère. On pense que tout se joue dans l’instant du sentiment, du ressenti immédiat, du bonheur présent. Il n’y a pas de place pour la différence avec un e, mais il n’y a pas de place non plus pour ce que Jacques Derrida appelle la différance avec un a c’est-à-dire l’acceptation que la réalisation attendue soit différée.

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On se sent autorisé

 » Dans ce repli sur l’immédiat, sur le tangible et le visible (et encore…), nul n’est enclin à prendre un engagement, et nul ne s’estimera obligé de le tenir.  » (Régis Debray). La fidélité comme confiance est attendue. Mais la fidélité comme engagement est redoutée. On veut les droits sans les devoirs. En tout cas, force est de constater aujourd’hui une crise de la conjugalité et plus particulièrement du mariage. Près d’un mariage sur trois se termine par un divorce. Or, la fidélité ouvre sur une durée qui permet d’envisager des projets et de les construire dans un bonheur partagé. Elle donne aussi assurance et soutien face aux difficultés de l’existence.
Le Nouveau Testament affirme le caractère indissoluble du lien conjugal, c’est-à-dire la pérennité du couple dans le temps (pour toujours) et dans l’espace (seulement toi). Cette indissolubilité du couple n’est toutefois pas une loi qui écrase, qui juge ou culpabilise car l’échec est toujours possible, mais c’est une promesse qui libère et ouvre sur un avenir. Il y a cependant des unions maintenues par le seul corset de la loi qui produisent plus de mort que de vie, davantage de souffrance que de bonheur. Le Christ a toujours su prendre acte des échecs humains, accueillir la détresse et offrir un nouveau recommencement.

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Prendre acte des échecs humains

Les Eglises protestantes considèrent que le divorce est toujours échec, accident, erreur à assumer, elles se refusent à accroître la culpabilité et la souffrance. Il s’agit alors de poser une parole qui prend acte de la défaite du lien contracté et qui ouvre sur des recommencements possibles. Le protestantisme concède le divorce comme une décision responsable à prendre aussi devant Dieu. Il n’y a, en aucune manière, de banalisation de l’acte de séparation.  » On se demandera seulement aujourd’hui, devant la multiplicité des divorces, ce qui s’y joue : il existe certes des explications sociales et culturelles, mais aussi peut-être un primat de l’instant et du spontané qui ne laisse pas de temps à l’autre, mais aussi peut-être une forte idéalisation des images masculines et féminines qui rend insupportable le fait que l’autre ne soit jamais conforme à l’image que l’on se forge de lui.  » (Jean-Daniel Causse)

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Lien à l'autre

Nous vivons dans une société où l’individualisme est exacerbé. Michel Schneider parle d’individus  » aucunement assujettis qui n’ont de dette envers aucune instance, des comptes à rendre qu’à eux-mêmes, et qui ne s’autorisent que d’eux-mêmes « . Les choix personnels sont absolutisés, posés comme autant de petites féodalités imperméables au débat, au dialogue, à la rencontre. L’effondrement des grands systèmes interprétatifs qui permettaient de comprendre le monde a fragilisé les identités. Du coup l’autre différent inquiète et fait peur. Paul Ricoeur écrit :  » Faut-il donc que notre identité soit fragile, au point de ne pouvoir supporter, de ne pouvoir souffrir, que d’autres aient des façons différentes des nôtres de mener leur vie, de se comprendre, d’inscrire leur propre identité dans la trame du vivre-ensemble ?  » Cette crise du lien à l’autre est pour une part liée à la crise des institutions (le mariage en est une) dont la vocation est précisément de permettre de  » vivre ensemble  » dans l’espace et dans le temps. Leur affaissement explique donc aussi les difficultés à inscrire des engagements dans la durée.

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Notre société

On constate en cette fin de 20e siècle technicien, scientifique, rationnel qui a vu l’avènement de l’individu moderne comme sujet autonome et responsable, un retour de l’irrationnel qui n’est peut-être que l’expression d’une dimension trop longtemps refoulée. Cette situation s’explique sans doute par le divorce qui s’est installé dans notre culture entre la raison et la spiritualité. C’est ce que souligne Roland Campiche quand il écrit :  » l’accent inconditionnel mis sur l’émotionnel et sur le fait que plus il y a d’émotion, plus c’est religieux, est une dérive dangereuse. La religion a toujours interrogé l’intelligence ; la déconnexion opérée entre raison et religion devrait allumer à nouveau le feu clignotant.  »
La sincérité et l’émotion sont devenues normes et critères de savoir. C’est juste, vrai et bien dès lors que c’est sincère, authentique et émotionnellement fort. Ainsi l’expérience vécue devient normative et légitimatrice, elle prend le pas sur les expériences transmises, condensées dans un savoir. Et même  » la valorisation des libertés individuelles et la prédominance de l’individuel sur l’universel conduisent à contester l’idée même de vérité  » (Isabelle Grellier).

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Logiques d'efficacité, de rentabilité, de réussite, de performance

La société d’aujourd’hui fait de la rentabilité, de la réussite, de l’efficacité, ses critères essentiels. Société au mérite, société de gagnants et de performants où les  » non méritants « , les peu qualifiés, les  » inaptes  » se sentent socialement inutiles parce que non rentables. Société qui ne supporte plus de voir son rêve de bonheur infini écorné par le tragique de la condition humaine. Ces logiques ont envahi même la vie conjugale et notamment sexuelle où il s’agit d’être toujours à la hauteur, c’est-à-dire conforme à un idéal imaginaire ou à un modèle social. Il s’agit de prouver ainsi à soi-même et au partenaire la réalité de la relation amoureuse. Tout manque, toute défaillance, tout écart est alors perçu comme une menace ou un échec.

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