Prier - Clés de lecture

Prions Dieu

Fin de partie met en scène quatre personnages qui mènent une existence absurde dans un monde indéterminé. Hamm (personnage principal) impose à Clov et Nagg de prier Dieu. On ignore pourquoi : l’objet de cette prière n’est pas précisé. Il faut imaginer la scène : trois hommes abandonnés à leur sort joignent leurs mains pour s’adresser à Dieu dans le silence. Leurs attitudes, leurs réactions prêtent à sourire. Visiblement, ils espéraient que « quelque chose » se passe (vite), or, rien ne survient.
Le mot « prière » désigne toutes les paroles que le croyant peut dire à Dieu et même l’attitude intérieure qui les remplace. Ce mot vient du latin precare qui signifie « supplier » : il véhicule donc surtout l’idée d’une demande. Dans ce sens, le mot s’est développé parallèlement dans le langage religieux et non-religieux (« demander à » quelqu’un / Dieu). En christianisme, la prière n’est pourtant pas qu’une question de « demande ». Plus largement, la prière est un dialogue instauré entre le croyant et Dieu. Et comme tout dialogue, il nécessite parole, écoute, silence. Ce type de dialogue prend tout autant que les autres le risque de la rupture et des « mal-entendus ».

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Notre Père qui êtes aux...

Les personnages se mettent « en situation » et l’un d’entre eux, Nagg, commence à prononcer ces mots : « Notre Père qui êtes aux… ». Il s’agit de la première phrase de la prière appelée le « Notre Père« . Le débit précipité laisse penser que pour Nagg, « prier » revient à « réciter ». La prière apparaît comme une action à accomplir, une « œuvre » à faire en attendant « quelque chose » en retour. L’auteur souligne ici la mécanique d’un tel procédé.
Les chrétiens considèrent la prière comme une relation vivante avec Dieu. La prière se constitue de parole et d’écoute qui peuvent s’exprimer de différentes manières. Par exemple, on trouve dans la Bible des prières de louange et de reconnaissance mais aussi des suppliques et des méditations.
Quant au « Notre Père », il se trouve dans le Nouveau Testament : cette prière est enseignée par Jésus à ses disciples. Elle est bien connue des chrétiens car pour eux, elle revêt une importance particulière. Elle est la seule enseignée par Jésus, mais surtout, Jésus y instaure une relation nouvelle entre le croyant et Dieu. Chaque croyant peut désormais appeler Dieu « Père » et donc, se situer devant lui tel un enfant, un fils.

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Un peu de tenue !

Devant les manières de Nagg, Hamm proteste et réclame « un peu de tenue » ! Selon lui, la prière nécessite un minimum de respect de règles. Ces « règles » sont sous-entendues par l’auteur lorsqu’il précise entre parenthèse : « attitudes de prière ». On s’imagine alors les mains jointes, les yeux fermés, un silence recueilli, etc. La prière se limite ici à un comportement extérieur, une forme à respecter.
Les chrétiens s’interrogent sur leur manière de prier. Pourtant, ce n’est pas tant le lieu, la gestuelle ou le moment de la prière qui importent, mais plutôt ce que le chrétien veut dire à Dieu. La « pratique » de la prière ne répond pas nécessairement à un code préétabli. Elle peut s’inscrire dans une piété, c’est-à-dire dans un attachement aux pratiques de la religion, mais ne saurait être pour autant réduite à un simple rituel dénué de sens. Elle relève avant tout de l’ordre de l’expérience personnelle ou communautaire.
Aujourd’hui, une telle scène de théâtre ferait d’autant plus rire les spectateurs que la prière est objet de nombreux soupçons. Autour d’elle se cristallisent les méfiances liées à la spiritualité que développe le christianisme. On s’en méfie comme on se méfie de tout ce qui échappe au rationalisme moderne. Pourtant, les contemporains semblent volontiers attirés par des méthodes d' »épanouissement de soi » ou d' »expériences spirituelles ».

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Bernique !

« Bernique » est une ancienne interjection familière qui exprime le désappointement. Fréquente aux 18e et 19e siècles, elle est devenue archaïque et équivaut aujourd’hui, en langage courant, à « macache » (« rien »). Tour à tour, les personnages sont déçus. Malgré leur prière, il ne se passe rien. A quoi s’attendaient-ils exactement ? Sans doute à une intervention divine « expresse » : entendre une voix, voir apparaître quelque chose. Au-delà du comique de situation, la scène évoque une expérience largement partagée : la prière ne provoque pas toujours les effets escomptés, loin s’en faut. Le texte pointe ici la question de l’exaucement : suffit-il de prier pour obtenir satisfaction ?
Pour les chrétiens aussi cette question est pertinente : les difficultés de la prière sont réelles, peut-être même pour la majorité d’entre eux. On peut noter que la Bible elle-même évoque ces difficultés. Elle invite le croyant à envisager la prière non pas comme un « self-service divin », mais plutôt comme un temps susceptible de faire cheminer le croyant. La prière n’est donc pas qu’affaire de désir à assouvir ou d’attente insatisfaite. Elle construit la parole et nourrit l’espérance.

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Il n'y a plus de dragées

Nagg réclame depuis longtemps une dragée. C’est comme une obsession qui revient régulièrement dans la pièce. Pourquoi une dragée ? Peut-être parce qu’il s’agit d’un bonbon qu’on offre lors de fêtes religieuses, comme un rite qui n’a ici plus de sens. « Il n’y a plus de dragées » pourrait signifier qu’il n’y a plus rien, comme dans la prière : rien ne vient satisfaire leur prière, rien ne vient non plus satisfaire ce désir de dragée. Ces hommes sont abandonnés, tragiquement seuls et aucune dragée (aucun rite religieux), aucun dieu (la prière est sans réponse) ne viendront apaiser leur condition.
La scène développe une vision désespérante de l’humanité : ces hommes ne pourront compter que sur eux-mêmes pour continuer leur semblant de vie. Leur prière s’apparentait à un appel au secours. Ils prient pour que Dieu les entende, pour obtenir de lui une faveur : ne pas être abandonnés à leur sort. Cette idée illustre particulièrement bien ce que les Réformateurs du 16e siècle ont perçu de la prière. Selon eux, la prière n’est pas une « œuvre » à accomplir pour s’attirer la faveur de Dieu, c’est un lieu de parole qui unit Dieu à l’homme. Autrement dit, le croyant ne prie pas pour que Dieu l’écoute, c’est parce qu’il découvre que Dieu l’écoute qu’il peut prier. La prière dit justement que Dieu n’a pas abandonné les hommes à leur sort. Elle est l’expression même de la relation homme/Dieu.

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Dieu ne répond pas

L’expérience de ces personnages est partagée par la plupart des croyants. Leur prière reste sans réponse : rien ne vient les réconforter ni même les encourager à poursuivre leur dialogue avec Dieu.
La Bible, comme la théologie, n’apportent pas une réponse définitive à cette interrogation. On peut trouver dans l’Ancien Testament, des exemples de prières restées sans réponse. Face à ce silence, le croyant peut réagir de différentes manières. Il peut crier sa colère, s’acharner et exiger une réponse, s’entêter, abandonner, se résigner, supplier, etc.
La théologie est largement confrontée à cette réalité. Le plus grand danger pour elle est alors de chercher à tout prix une explication qui revient souvent à « innocenter » Dieu et à culpabiliser le croyant.

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