Les terrains ensemencés - Clés de lecture

Jésus enseignant

Les premiers versets de ce texte décrivent le cadre du discours que va prononcer Jésus. La scène se passe au bord de la mer, c’est-à-dire au bord du grand lac de Génésareth en Galilée. Jésus est là pour enseigner. Cette position d’enseignant va être rappelée 3 fois dans les deux premiers versets. Dans les trois chapitres précédents de l’évangile de Marc, il a été plusieurs fois fait allusion à l’enseignement de Jésus sans que le contenu en soit explicitement dévoilé. La grande foule qui s’assemble autour de Jésus prouve que son enseignement est recherché. Face à cet auditoire important, Jésus est comme poussé à l’eau. La berge va créer un partage, d’un côté Jésus, seul, sur l’eau, assis, et en face, la foule sur la terre. Une telle mise à distance solennelle appelle à une suite, un discours. Les auditeurs sont en attente et le lecteur d’aujourd’hui aussi.

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Le parler en paraboles

Comme il était d’usage dans la tradition juive, Jésus utilisait dans ses discours des comparaisons, des images et des paraboles destinées à éveiller l’attention des auditeurs et à frapper leur imagination. Dans un contexte d’oralité, la brièveté du propos et les images percutantes étaient utiles pour convaincre. Dans ce premier discours de Jésus, l’évangile selon Marc souligne une des particularités des paraboles de Jésus : elles ne viennent pas illustrer un enseignement, mais elles en constituent l’essentiel. Le cœur de l’enseignement de Jésus est l’annonce de la proximité du Règne de Dieu qui survient comme un évènement qui surprend. L’écoute de ces petits récits paraboliques permet ainsi de faire l’expérience de la proximité de Dieu dans le monde d’aujourd’hui, tout comme les guérisons ou les gestes d’accueil et de partage de Jésus.

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Ecouter, entendre, comprendre

« Ecoutez ! », cette injonction qui introduit la parabole est plus qu’un simple signe oratoire destiné à attirer l’attention de l’auditoire. La parabole qui va suivre nécessite véritablement une écoute particulière. Il y a quelque chose à entendre, dans le double sens de ce verbe : entendre et comprendre. A la fin de la parabole, l’évangéliste rapporte une parole de Jésus qui confirme cette spécificité de l’écoute : « que celui qui a des oreilles pour écouter, qu’il écoute » (v.9). Jésus invite ainsi les auditeurs à revenir sur leur écoute comme pour s’assurer qu’ils ont bien entendu et compris. Cette parabole est donc encadrée par une invitation pressante à participer activement à l’accueil de l’enseignement en paraboles. L’auditeur, le lecteur, est alerté : il y a une distance entre ce qui est dit et ce qui doit être entendu et compris.

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Le début d’une histoire

Tout de suite après l’appel à l’écoute, la parabole commence par un petit mot : « vois », traduit ici par « voici » (qui est la forme soudée de « vois ici »). L’histoire à écouter est aussi à voir : il va être fait appel à l’imagination. Le récit présente un personnage, le semeur, non pas un semeur indéfini comme souvent les personnages des paraboles, mais le semeur. Qui est-il ? La question reste posée puisqu’il disparait de l’histoire. L’auditeur qui a déjà en tête des images symboliques du semeur doit les abandonner. Il est tout de suite conduit à s’intéresser à ce qui s’est passé pendant qu’il semait. Le récit va décrire quatre situations, trois échecs et une réussite pour les semailles. Dans la description, il faut noter l’absence de nom donné à ce qui est semé et l’emploi d’indéfinis : « quelque chose, cela… ». Les traductions de ce texte en français ajoutent souvent « grain » ou « semence » pour éclairer le propos. Mais le lecteur perd du coup le contraste avec le luxe de détails apporté pour décrire le devenir de ce « quelque chose ».

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Le devenir de ce qui est tombé

La formule « il en est tombé » semble maladroite mais elle permet de porter l’attention désormais sur ce qui est tombé. Le verbe « tomber », qui va être repris dans les quatre situations, suggère l’absence d’intentionnalité de la part du semeur. De toute évidence, le semeur a eu un geste large, sans avoir à se soucier de savoir où tombe ce qu’il sème. C’est une première extravagance par rapport à une conduite rationnelle de paysan. Mais le récit ne dit rien sur cette prodigalité et va s’intéresser au devenir de ce qui est tombé, à savoir la germination et la fructification. Et ce devenir va dépendre entièrement de l’endroit où la semence tombe. Pour le premier endroit, tout est rapide : ce qui est tombé sur le chemin, un terrain inadéquat, a été emporté par des oiseaux. Ce qui est tombé est resté à découvert, à la merci du premier prédateur, du premier coup de vent. Il est perdu, il n’en reste aucune trace.

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Un deuxième échec

Le deuxième petit récit comporte plus de détails, beaucoup de détails même. L’endroit ici c’est de la terre, en petite quantité et sans profondeur. L’enracinement n’est pas suffisant et ce qui avait pu germer va être brûlé par le soleil. Dans ce cas, il y a bien de la terre, condition nécessaire à la germination. Mais là encore il y a un manque, manque de terre, et un élément extérieur, le soleil, qui viennent contrecarrer la fructification. Le devenir de ce qui est tombé dépend de la qualité du terrain où il tombe et ici de sa profondeur.
Le temps compte lui aussi. La poussée intervient trop vite et ce qui est produit est trop fragile pour résister aux agressions extérieures. Il ne reste que quelque chose de desséché, sans vie.

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Qui se soucie de la perte ?

La troisième part de ce qui tombe semble avoir trouvé un endroit fertile, mais mal entretenu. Au début, la présence d’épines a pu profiter à la plante qui a poussé de concert avec elles. Mais elles ont eu le dessus et le constat est que « cela » n’a pas pu aller jusqu’à donner de fruit. La terre est sans doute de qualité, mais « cela » se trouve en concurrence avec les épines.
Au terme de ces trois récits d’échec, l’auditeur, le lecteur est en attente. Ces récits d’échec sont entendus comme des paroles de constat, mais aussi de jugement. Mais sur qui porte le jugement ? L’absence de personnes humaines dans ce récit parabolique apporte un certain trouble. Le semeur est sorti de l’histoire. Personne ne se soucie du gaspillage de cette semence dont la qualité n’est pas en cause puisqu’elle ne demande qu’à germer.

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Une triple réussite

La parabole se termine bien. Cette fois, ce sont « plusieurs » qui sont tombés dans la belle terre et le constat est celui d’une triple réussite succédant au triple échec : « un trente, un soixante et un cent », des rendements extravagants parce que bien supérieurs à ce qui est connu en agriculture. Enfin ce qui est semé a pu produire du fruit en abondance. Mais qu’est-ce que la belle terre ? L’adjectif qualificatif grec utilisé signifie bien « belle ». Dans la plupart des bibles, on le trouve traduit par «bonne» par souci de vraisemblance. C’est d’ailleurs ce qualificatif « bonne » qui est utilisé dans l’évangile selon Luc. Contrairement à la précision des détails apportée pour décrire les échecs, on est devant une explication qui n’en est pas une : la « belle terre » est celle qui permet aux grains de germer, de pousser et de porter du fruit et pour qu’il y ait ce fruit, il faut une « belle terre ». La différence entre le début du récit et sa chute oblige l’auditeur à y entendre autre chose qu’une histoire de semailles, d’utilité et de rendement. L’image de beauté invite à l’émerveillement devant la germination et la maturation de ce qui a été semé. Et comme personne ne vient récolter cette moisson, l’auditeur est laissé face à cette invraisemblable abondance qui n’a coûté aucun effort, complètement gratuite.

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Accueillir ce qui est semé

Les paraboles sont souvent suivies d’une parole de Jésus qui vient comme un commentaire ou une application. Ici, il s’agit d’un appel à l’écoute et cela dans les trois versions de la parabole dans les évangiles synoptiques. Cet appel a donc sans doute à voir avec la compréhension de la parabole. Il est adressé individuellement (celui qui) et non plus collectivement comme au début de la parabole (écoutez). Il invite l’auditeur, le lecteur d’aujourd’hui, à prendre conscience de la manière dont il écoute. Réfléchissant à son écoute, l’auditeur peut alors envisager que, dans cette histoire racontée au passé, ce qui a été semé, ce « quelque chose » est la parabole elle-même. Avant toute explication ou recherche de sens, il est interpellé sur la manière dont il l’a entendue. Ce qui est tombé doit être intériorisé, mis en relation avec l’expérience personnelle de chacun pour produire du fruit (du sens ?). Cette première parabole dans l’évangile selon Marc montre la manière dont on doit entendre toutes les paraboles.

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Les paraboles en question

Après le récit de la parabole, Jésus se retrouve seul à seul avec un auditoire restreint autour de lui, dont «les douze », ses disciples, font partie. L’emploi de l’imparfait duratif employé pour décrire cet échange (ils l’interrogeaient) laisse entendre que cette scène se répétait souvent. Après avoir entendu des paraboles, certaines personnes avaient l’habitude d’interroger Jésus en aparté. Sa réponse partage son auditoire en deux groupes : les personnes qui s’approchent et s’interrogent sur leur écoute et les autres, appelés « ceux du dehors ». Accepter de s’interroger sur sa capacité à entendre les paraboles fait déjà partie du don, celui du mystère du Règne de Dieu. Par contre, ceux qui restent dehors sont ceux qui ne cherchent pas à mettre en question leur écoute et à confronter ce qu’ils entendent avec ce qu’ils vivent.

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