Fidélité fragile et solide - Clés de lecture

La fidélité

Pour mieux cerner la notion de fidélité qui est constitutive de l’alliance conjugale, comme de la foi, il est utile de se tourner vers l’étymologie. La racine du mot  » fidélité  » est fides, ce qui veut dire la foi. Jean Calvin traduit le latin fides par le mot français fiance ; la foi, c’est un acte de fiance, c’est-à-dire l’acte de faire confiance. Ce mot fides a donné aussi fiancé, fiançailles, confidence, fiable, se fier à, fidélité, etc… Ainsi la fidélité est  » l’acte par lequel se décide une confiance.  » (Jean-Daniel Causse) C’est ce  » croire  » qui constitue la relation à l’autre aimé. Ce qui lie à celle ou celui que l’on aime, n’a pas d’autre garantie que la parole qui réclame la foi. C’est cette confiance qui va permettre à l’amour de s’inscrire dans la durée et de surmonter les difficultés, les manques, les défaillances.
La fidélité repose sur une confiance qui permet d’envisager le temps non comme une succession d’instants décousus, mais comme une durée ouverte aux changements, aux évolutions, aux reconstructions, à la persévérance dans des engagements.

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L'expérience même de la foi

La foi est fondamentalement l’expérience d’une rencontre avec le Christ, dont lui-même à l’initiative. Dans cette expérience, le croyant se découvre reconnu et  » justifié Il s'agit d'une notion très importante chez l'apôtre Paul et pour la Réforme. Elle renvoie à la notion de justice : justifier quelqu'un peut se traduire par " regarder quelqu'un comme juste ".  » par un Autre que lui-même. Son identité n’est plus à construire, elle lui est donnée sans qu’il ait à la mériter, ou à la prouver, à la valider. Pour Luther, la foi est cette confiance qui  » nous arrache à nous-mêmes et nous établit hors de nous, pour que nous ne prenions pas appui sur nos forces, sur notre conscience, nos sens, notre personne, nos oeuvres, mais que nous prenions appui sur ce qui est au-dehors de nous : la promesse et la vérité de Dieu qui ne peuvent tromper « . Une telle confiance n’est pas une disposition de l’esprit, une qualité morale, une croyance religieuse, un dogme théologique, un pouvoir humain, mais elle est l’oeuvre du Christ. La foi repose sur l’assurance de la fidélité de Dieu, sur la certitude que Dieu tient parole. De même dans le couple, le lien est fondé sur la parole donnée en laquelle on croit.

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La relation

Dès le début de la Bible, Dieu par sa Parole crée et appelle, au double sens du verbe appeler : celui de nommer et celui d’adresser vocation. Appelé par Dieu, l’homme est invité à répondre. Il est mis ainsi en situation de responsabilité. En effet être responsable c’est répondre à, répondre de. Il est placé devant  » un vis-à-vis ultime, une instance dernière, à partir de laquelle il est invité à se comprendre lui-même, sa vie, ses tâches, son devenir  » (Pierre Bühler). Cela va à contre-courant des religiosités actuelles qui poussent plutôt à chercher la vérité au fond de soi-même, à découvrir du divin enfoui en soi, par des exploits spirituels.
Ainsi, à l’intérieur de la foi chrétienne se dessine une anthropologie Ce mot vient de deux mots grecs : anthropos (l'humain) et logia (science). Il désigne la compréhension et la définition de l'être humain. relationnelle où l’humain ne se définit pas seulement comme une réalité substantielle accessible aux seuls savoirs scientifiques, mais par l’identité que Dieu lui donne. Cette relation n’est possible et durable qu’enracinée dans la foi, c’est-à-dire dans la fidélité de Dieu qui donne confiance et qui fait confiance. Appelé,  » justifié  » par Lui, l’être humain est mis à sa  » juste  » place, dans une juste relation avec Dieu et avec les autres.
De même, dans la vie à deux, la relation à l’être aimé ne repose que sur  » un événement de parole que rien ne vient garantir « . Elle vit de la confiance que chacun des conjoints est aimé tel qu’il est sans avoir à le mériter. De manière plus générale, cette notion de confiance est constitutive du lien à l’autre, elle est indispensable pour vivre ensemble dans la société.

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Le lien à l'autre

L’ est présente dès les premiers versets de la Genèse où la Parole du Dieu radicalement Autre nomme, sépare, distingue, inscrit de la distance et de la différence entre les êtres et les choses. Dans le texte de Genèse 1,27, ce processus de distinction culmine avec la différence sexuelle :  » homme et femme, il les créa « . Ainsi, au départ,  » Adam  » désigne le tout de l’humain. Celui qui s’appelait jusqu’ici Adam ne peut se nommer homme (ish) qu’au moment où il y a isha (femme) vers laquelle il peut se tourner. Il y a entre eux une différence irréductible. Chacun se trouve radicalement coupé de l’autre sexe, comme l’indique l’étymologie où le sexus est un secare, un coupé, un séparé. Ainsi l’être humain n’est pas tout. Et c’est parce qu’il n’est pas tout qu’il peut faire une place à l’autre. Cela signifie que dans la relation conjugale chacun(e) doit pouvoir exister dans sa différence.

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Sentiment/émotion

Parce qu’elle est fondamentalement expérience d’une rencontre, la foi met en jeu des sentiments, des émotions, des réalités affectives qui sont de l’ordre d’un ressenti. La Parole de Dieu ne concerne pas le seul intellect, mais toute la personne. La Parole ne chemine pas par la seule perception rationnelle. Elle passe aussi par d’autres langages qui mettent en jeu le corps et qui constituent des vecteurs essentiels de la communication et de la transmission. On ne saurait toutefois réduire la foi à une émotion ou à un sentiment. Sinon on risque de court-circuiter la parole qui ouvre à l’altérité. Tant la Parole de Dieu que la parole des autres protègent du subjectivisme, voire de l’illuminisme. Cela est très important dans notre société où les émotions jouent un grand rôle, où l’irrationnel fait retour, où l’on a tendance à poser la sincérité comme critère de vérité.

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Savoir

La foi a besoin de ferveur, d’émotion, de sentiment, mais elle requiert aussi l’intelligence pour lui donner un contenu et en rendre compte aux autres de manière cohérente, globale et intelligible. Cette intelligence de la foi, qui n’a rien à voir avec l’intellectualisme, permet de l’approfondir et de la consolider. Elle est une exigence de la foi elle-même et combat de manière efficace aussi bien l’apathie spirituelle que le fanatisme. Cette démarche de réflexion et d’élaboration donne à la foi un contenu et un langage, faute de quoi elle resterait une pure illumination intérieure inaccessible aux autres. Si la foi est pour le croyant une confiance, elle appelle aussi une démarche pour en rendre compte.
Toutefois, aucun savoir ne peut jamais rendre compte totalement de la rencontre avec Dieu. L’expérience de la foi échappe à toute mainmise. Dans la Bible, Dieu est toujours au-delà des mots dans lesquels on prétendrait l’enfermer. Il en est de même dans le couple : l’autre échappe toujours. Il garde toujours une part de mystère.

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L'autre échappe toujours

Dans le Cantique des cantiques, il est très frappant de voir que les amoureux ne cessent de se chercher dans une alternance de rapprochements et d’éloignements.  » Moi, j’ouvre à mon chéri ! Mais mon chéri s’est détourné, il a passé. Hors de moi je sors à sa suite : je le cherche mais ne le rencontre pas ; je l’appelle mais il ne me répond pas.  » (5/6) A l’instant où celui qui est aimé se donne, il échappe, il n’est pas réduit à ce qu’il donne à voir, il conserve son mystère, le secret de son être. Il demeure une part de lui-même qui est invisible et imprenable. Ainsi,  » l’amour qui conduit au lieu même de la plus grande intimité est toujours l’expérience d’un invisible, d’une part impossible à maîtriser, d’un non savoir sur l’autre aimé  » (Jean-Daniel Causse). La rencontre amoureuse est fondamentalement l’expérience d’un écart entre ce qui est cherché et ce qui est donné. C’est ce qui fait écrire à un théologien catholique que la sexualité  » constitue pour l’être humain une des manifestations les plus claires de sa finitude  » (Xavier Thévenot)

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Mystère

Le mot mystère signifie que tout n’est pas explicable, ni maîtrisable. Dans la foi (comme dans la relation amoureuse) il y a de l’indicible qui échappe aux mots et aux gestes. Maintenir une part de mystère c’est prendre au sérieux cette irréductible C’est se protéger d’une relation fusionnelle avec l’Autre/autre, d’un accès immédiat à ce qu’il est, d’une illusoire transparence qui prétendrait le posséder. On ne peut jamais le capturer de manière définitive, mais il y a toujours à découvrir en lui. La relation à l’autre ouvre sans cesse à des surprises, des rebondissements, des approfondissements, des évolutions.
Toutefois la référence au mystère ne dispense pas de faire venir au langage et à la réflexion ce qui se passe dans la relation à l’autre. Le mystère ne saurait justifier le non-dit ou le silence qui peuvent laisser mourir la relation à l’autre.

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Une parole échangée

Cette parole échangée fonde une alliance entre deux partenaires c’est-à-dire le pacte qui dit les termes de leur relation, fixant les droits et les devoirs de chacun.
L’alliance (en hébreu berith) est une notion essentielle dans l’Ancien Testament. Elle désigne le lien entre Dieu et son peuple. Elle implique toujours une initiative de Dieu, avec pour les fidèles des obligations en retour. Le lien conjugal va devenir l’image de cette alliance.
C’est pourquoi le prophète Osée décrit l’idolâtrie du peuple, le fait qu’il se tourne vers d’autres dieux, comme une attitude de prostitution. Et pour symboliser cette relation faussée entre Dieu et Israël, le prophète va épouser une prostituée. En même temps, il annonce que Dieu conserve son amour pour son peuple malgré son infidélité.
On retrouve dans le Nouveau Testament, la même analogie entre la relation conjugale et la relation du Christ avec son Eglise (Ephésiens 5,21-33). Une analogie n’implique pas une relation à l’identique, mais une ressemblance. Elle vise ici la relation qui existe entre les deux partenaires. Pour autant on ne saurait identifier dans cette analogie l’époux au Christ et l’épouse à l’Eglise.

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Une analogie

Il y a, pour la Bible, une analogie entre la foi et la rencontre amoureuse. C’est ce que montrent de nombreux textes de l’Ancien Testament, notamment le Cantique des cantiques (450 av. JC). Ce poème sur l’amour humain présente clairement ce que Paul Ricoeur appelle une  » métaphore nuptiale  » par laquelle, sans se confondre, l’alliance conjugale et l’alliance Dieu – être humain s’éclairent l’une l’autre. Se référant aussi aux textes des prophètes, il parle même de  » métaphore croisée  » à savoir que  » d’un côté les prophètes « voient » l’amour entre Dieu et son peuple « comme » amour conjugal ; de l’autre, l’amour érotique chanté par le Cantique des cantiques est « vu comme » amour de Dieu pour sa créature ».
On retrouve des images comparables dans le Nouveau Testament, notamment chez Paul dans la lettre aux Ephésiens parlant de l’amour conjugal comme de l’alliance entre le Christ et son Eglise. C’est pourquoi les Réformateurs utiliseront cette même métaphore nuptiale pour penser  » l’union mystique  » du Christ et du croyant chez Calvin ou  » l’union avec Christ  » chez Luther. La foi, comme rencontre existentielle du Christ, est donc métaphore de la rencontre amoureuse. Dans les deux cas, cette rencontre suscite quelque chose de totalement neuf dans l’existence du sujet, le conduisant à une façon différente d’habiter sa propre histoire, à une nouveauté de vie, à des projets nouveaux.

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Preuve/vérification

La preuve et la vérification appartiennent au domaine scientifique où il faut être capable de reproduire une expérience aux yeux de tiers. Théologiquement, ces mots recouvrent une volonté de rationaliser, de prouver de sorte que cela s’impose, par exemple  » prouver  » à soi-même, aux autres, à Dieu sa valeur. Plus largement il s’agit chez l’être humain d’un désir de maîtrise, afin de se poser comme son propre fondement. Cela se traduit dans la société par la prééminence des logiques d’efficacité, de rentabilité, de réussite, de performance. En contraste avec cette situation, la proclamation de l’amour de Dieu instaure une autre logique qui va à rebours des logiques de ce monde. Fondamentalement, sous l’angle de l’Evangile il n’y a pas de méritants, ni de rentables. Mais chaque être humain est aimé de Dieu, reconnu par Lui inconditionnellement tel qu’il est en dehors de ses réussites et de ses échecs. De même, dans la relation conjugale, la tentation sera toujours de se réassurer en cherchant des preuves objectives que le lien d’amour est toujours là. Cela ne signifie pas pour autant que la vie de couple peut se passer de gestes symboliques qui en signifient, en particulier publiquement, la réalité.
La parole ce n’est pas que des mots. Elle s’exprime aussi dans des gestes symboliques.

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D'une grande fragilité et d'une étonnante solidité.

L’alliance dans le couple se fonde sur une parole dont rien ne peut prouver la véracité. Une telle parole est fragile car elle ne se soutient que d’être dite et reçue. Elle demande à être crue. Elle engage celui qui la dit comme celui qui la reçoit dans une démarche de foi, de confiance et de fidélité. En ce sens elle est aussi solide que la parole que le prophète annonce au peuple de la part de Dieu :  » Quand les montagnes feraient un écart et que les collines seraient branlantes, mon amitié loin de toi jamais ne s’écartera et mon alliance de paix jamais ne sera branlante, dit celui qui te manifeste sa tendresse, le Seigneur  » (Esaïe 54,10). Cette solidité est aussi exprimée dans le Cantique des cantiques. Notamment quand la bien-aimée dit à son amoureux :  » Mets-moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras  » (8,6). La notion de  » sceau  » est ici importante. Elle indique que c’est cette empreinte, à la fois fragile et solide, qui va garantir à l’autre la continuité de l’amour dans l’intervalle de la présence et des émotions. Elle fonde ainsi un lien qui n’est pas soumis aux seuls mouvements des sentiments et du désir. Les difficultés ne signifient donc pas la disparition du lien amoureux et conjugal. Car la parole d’alliance est une parole dont on peut faire mémoire, que l’on peut redire, réactualiser, rendre présente dans des mots et des gestes qui l’inscrivent dans la durée.

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