On nous change la religion! - Clés de lecture

Individu

L’évolution du paysage religieux en Occident est en grande partie le fruit de l’évolution contemporaine de l’individu.
Schématiquement, jusqu’au début des années 1960, le problème de l’individu occidental était plutôt de devoir se conformer à des contraintes sociales fortes qui le limitaient dans ses potentialités : cloisonnement des classes sociales, répartition rigide des rôles entre les sexes, interdits et tabous nombreux, valorisation de l’immobilité professionnelle, conformisme, etc. La société encadrait fortement les désirs individuels. On avait de la peine à « être soi », tant on était enserré. Ne pas être conforme à ce que la société attendait faisait naître un sentiment de culpabilité. L’individu se sentait incapable d’être l’auteur de sa propre vie, parce que trop d’obstacles l’en empêchaient.
Depuis le début des années 1960, le problème de l’individu occidental est plutôt de faire face à la multitude des possibles et à l’injonction de devoir les explorer pour réaliser au maximum toutes ses potentialités : globalisation des cultures, métissages, affirmation de la part de l’autre sexe en soi, « il est interdit d’interdire » (comme disait un slogan de Mai 1968), valorisation de l’initiative dans l’entreprise, culture de la performance, etc…

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Retour de la croyance

On parle habituellement d’un « retour du religieux ». Ici, Danièle Hervieu-Léger élargit l’expression à un « retour de la croyance » qui concerne certes la sphère religieuse mais sans doute aussi celle de la connaissance (succès des phénomènes dits paranormaux), de l’histoire (importance du destin, personnel et collectif), de l’anthropologie (discours sur les « races »), etc.
Dans les années 1980, l’expression « retour du religieux » fut utilisée pour désigner notamment l’avancée sur la scène publique, et souvent médiatique, de courants religieux intégristes ou fondamentalistes ouvertement hostiles à la sécularisation de la société.

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Pèlerin

Ici, la sociologue utilise la figure du pèlerin comme un idéal-type.
En Occident, les pèlerinages se sont développés au Moyen Age. Pour des raisons religieuses et souvent avec l’espoir de s’attirer les faveurs de Dieu, les pèlerins entreprenaient des voyages vers des lieux chargés d’histoire et de signification à l’occasion de fêtes importantes.
La figure du pèlerin renvoie aussi à des épisodes bibliques essentiels : la sortie d’Egypte et la progression du peuple hébreu vers la terre promise ou la marche de Jésus vers Jérusalem, par exemple. D’une manière plus universelle, le pèlerinage suggère l’itinéraire de chacun tout au long de sa vie : « chacun sa route, chacun son chemin » dit la chanson.
Le touriste n’est-il pas une sorte de pèlerin moderne et irréligieux ?

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Pratique

La plupart des religions prescrivent des comportements au croyant, tels que les règles alimentaires dans le judaïsme, la messe dominicale dans le catholicisme, la prière quotidienne dans l’islam.
Ces obligations ont une double fonction : relier le croyant à Dieu en le plaçant dans des conditions adéquates, mais aussi constituer une communauté qui se différencie de manière visible de son environnement.
La Réforme protestante n’a pas nié l’utilité de rites et de pratiques mais, dans son souci de souligner la gratuité de la relation à Dieu, elle a vigoureusement contesté leur caractère obligatoire ou méritoire.
La pratique religieuse n’est plus guère, aujourd’hui, un marqueur social. Les événements religieux, qu’ils soient d’ordre familial (baptême, mariage) ou plus large (célébration en foule, pèlerinage), ont avant tout une fonction d’émotion et de ressourcement.

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Converti

Ici, la sociologue Danièle Hervieu-Léger emploie le mot comme un idéal-type, c’est-à-dire une description très typée d’une situation qui n’existe pas en tant que telle dans la réalité, mais qui sert de repère pour mieux comprendre et analyser les multiples cheminements individuels.
Dans la Bible, la conversion est un renouvellement complet de la compréhension de soi et du monde à la lumière de Dieu. Les mots hébreux et grecs qu’elle emploie pour l’évoquer suggèrent le demi-tour ou la découverte de nouveaux horizons.
Dans le langage courant, la conversion désigne en général un changement d’appartenance religieuse.

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Dieu personnel

« Par le nom de Dieu, j’entends une substance infinie, éternelle, immobile, indépendante, toute-puissante et par laquelle toutes les autres choses sont », écrivait Descartes au début du 17e siècle, faisant de « Dieu » une sorte de principe causal radicalement externe à l’homme.
Pour nos contemporains, et les courants du « New Age » y ont particulièrement insisté, « dieu » évoque en général plutôt une source d’harmonie intérieure. Le sens ou le dynamisme résideraient à l’intérieur de chacun, à l’état de potentialités, l’effort spirituel consistant à libérer cet élan de tout ce qui l’entrave pour qu’il puisse s’épanouir pleinement.
Ni principe philosophique, ni prédisposition intime, la Bible place la connaissance de Dieu sous le signe de la rencontre (Exode 3). Pour l’Ancien Testament, Dieu est à la fois Celui qui est, et cela de manière absolue, mais en même temps qu’il reste proche et attentif. Le Nouveau Testament proclame : « Personne n’a jamais vu Dieu mais le fils unique, qui est Dieu et qui demeure auprès du Père, l’a fait connaître » (Jean 1,18) ; il insiste sur la faiblesse étonnante et paradoxale de ce fils : « nous, nous annonçons le Christ cloué sur la croix, […] qui est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu » (1Corinthiens 1,23-24). Insaisissable et toujours proche, tel un « visiteur qui va son chemin » disait le poète R.M. Rilke, le Dieu de Jésus-Christ vient à notre rencontre là où nous en sommes.

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Esprit

Il s’agit d’un « mot-valise », expression utilisée par les linguistes pour désigner ces mots dans lesquels chacun peut mettre des significations différentes. Selon les époques ou les circonstances, « esprit » peut désigner des substances imperceptibles qui habitent le corps humain, des êtres immatériels ou imaginaires, ce qui caractérise la réalité intellectuelle ou psychique de l’homme, ce qui oriente sa volonté, etc.
Dans la Bible, il s’agit d’un vent ou encore d’un souffle, le souffle créateur de Dieu, qui agit de manière invisible mais perceptible dans la réalité, à la manière du vent qui gonfle les voiles du navire et le fait avancer. Ici, la sociologue utilise le mot pour désigner probablement le sentiment, partagé par bien des jeunes, d’une réalité divine impersonnelle et interreligieuse.

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Institution

Les institutions (école, médecine, Eglises, etc.) jouent un rôle de médiation entre les individus singuliers et les valeurs générales qui construisent et permettent une vie sociale. Mais plus l’image d’un individu idéal autonome, seul maître de sa destinée, centré sur ses désirs et ses réalisations, s’impose, plus les institutions sont affaiblies -et cela se vérifie aussi dans le domaine religieux.
A propos de cet affaissement des institutions religieuses et notamment des Eglises, des sociologues comme Grace Davie ou Danièle Hervieu-Léger ont souligné combien l’individu d’aujourd’hui pouvait « croire sans appartenir » et « appartenait sans croire ».
Il croit sans appartenir lorsqu’il se construit lui-même ses croyances en puisant dans des traditions diverses. Dans une sorte de « bricolage spirituel« , l’individu se constitue un « kit » de significations et de références spirituelles « à la carte », où l’expérience, l’émotion, le sentiment d’authenticité du moment priment sur la réflexion, la cohérence, la durée.
L’individu appartient sans croire lorsqu’il se rattache à une tradition sans pour autant en adopter le corps de doctrine. Ainsi, les encycliques du Pape sont des succès de librairie alors même que beaucoup de ceux qui les achètent n’adhèrent pas à leur contenu, les temps forts spirituels rassemblent bien au-delà des membres de l’Eglise invitante (JMJ, Taizé, etc.), le patrimoine religieux déchaîne les passions en dehors de toute pratique réelle (attachement à l’église du village même si l’on n’y met pas les pieds, hostilité à la construction de mosquées).
Pour la majorité de nos contemporains européens, très différents en cela de leurs semblables y compris américains, croyance et appartenance sont séparées.

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Certitude

Opinion, doctrine, savoir, certitude, foi : distinguer entre ces mots peut éviter bien des confusions.
L’opinion est relative, y compris pour celui qui la professe (exemple : « l’évangile de Marc est passionnant »).
La doctrine est un ensemble de propositions cohérentes entre elles, qui font sens et auquel on peut ou non donner son adhésion (exemple : « Jésus-Christ est le fils de Dieu »).
Le savoir est une proposition vérifiée et énoncée de manière à pouvoir être éventuellement réfutée par un fait, une observation. (exemple : « Ponce Pilate a été procurateur de Judée entre 26 et 36 de notre ère »).
La certitude relève à la fois de l’expérience individuelle, de la compréhension personnelle, du sentiment intime : pour celui qui la vit, elle est de l’ordre de la vérité existentielle (exemple : « Jésus-Christ est ressuscité »).
Dans l’usage courant, le mot foi peut se rapprocher de chacun des mots précédents et revêtir ainsi des significations sensiblement différentes. Il vient du latin fides, qui signifie confiance et que l’on retrouve dans des mots tels que « fiancé », « fidèle », etc. Dans la tradition protestante, « foi » désigne avant tout une relation confiante du croyant avec Dieu, dont celui-ci a l’initiative.

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Secte

L’étymologie du mot est incertaine. Elle renvoie soit à sequi, verbe latin qui signifie suivre, une secte étant alors un rassemblement de personnes qui suivent un enseignement ou un maître, soit à secare, autre verbe latin qui signifie couper, une secte étant alors une dissidence d’un groupe plus important.
Dans le débat public français, le mot a pris une tournure péjorative, sans d’ailleurs que l’on puisse en donner une définition admise par tous, notamment dans le domaine juridique. On craint les sectes, parfois à juste titre, souvent en surestimant le nombre de leurs adeptes ou leurs méfaits (la secte Moon, par exemple, dont on faisait grand cas dans les années 1970, n’a jamais réuni plus de quelques dizaines de personnes en France), rarement en s’interrogeant sur ce qui les rend attirantes.

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Religion

Parmi les diverses étymologies et origines du mot latin religio, on évoque souvent le verbe religare, relier. La religion serait alors ce qui relie les humains les uns aux autres, en les reliant ensemble à une divinité distincte d’eux.
La religion présuppose donc qu’il existe deux mondes séparés, l’un profane, l’autre sacré. Elle prétend offrir la connaissance adéquate de la sphère du sacré (révélations, doctrines, transes, etc.), ainsi que le moyen de les mettre en relation (formules, rites, etc.).
Plus particulièrement depuis la Renaissance, la culture occidentale moderne n’a cessé de chercher à affranchir la pensée rationnelle de la pesante tutelle religieuse au point que raison et religion ont été progressivement vues par beaucoup comme concurrentes. On en a parfois annoncé la disparition des religions. Mais celles-ci résistent ! Elles se développent, même. De plus, bien des phénomènes sociaux que l’on ne classe habituellement pas dans le domaine religieux, comportent une dimension religieuse : manifestations sportives, culte de la science, patriotisme, nostalgie d’une nature primordiale, gigantisme de certains spectacles, adulation du corps, omniprésence de l’argent, révolutions politiques, etc.
En dépit de ses changements et grâce à eux, le langage du religieux, comme celui de la philosophie, de l’art, de la poésie ou de l’humour, traverse les âges et les cultures. Il demeure l’un des constituants de l’interrogation de l’être humain sur lui-même et sur le monde.

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Toutes ses potentialités

Aujourd’hui, la société exalte la réalisation de tous les désirs. Mais du coup, ce même individu a de la peine à « être soi », à « se réaliser », tant tout semble possible et tout se vaut. La pression sociale favorise un sentiment d’insuffisance, de « ne pas y arriver ». L’individu se sent incapable d’être l’auteur de sa propre vie, parce qu’une infinité de possibles s’offre à lui.
Cette affirmation autonome de l’individu, avec ses corollaires que sont la libéralisation presque sans limite et la perte de repères angoissante, se vérifie également dans le domaine religieux. Là aussi, on est passé d’appartenances religieuses prédéterminées, fixes, dans lesquelles l’individu n’avait qu’une autonomie restreinte, à une recherche d’accomplissement du soi croyant, de développement de ses potentialités spirituelles, voire de performance religieuse. Le fait de croire et le contenu de ce croire se sont individualisés et subjectivisés.

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