Rire - Clés de lecture

Aucun d'assez vivant

Dans ce livre, L’écriture ou la vie, se mêle un récit autobiographique sur la vie de son auteur après sa sortie du camp de concentration de Buchenwald (à 5 km de Weimar, Allemagne). L’expression « aucun d’assez vivant » désigne les quelques rares rescapés de ce camp rejoint par les troupes alliés le 11 avril 1945.
En quelques phrases, l’auteur tente de faire entendre aux lecteurs ce que pouvait représenter pour ces prisonniers de vivre ce jour de la libération. C’est dans ce contexte de mort, « hors norme », que va résonner le rire de l’auteur. Plus ces rescapés semblent tout entiers tournés du côté de la mort, plus ce rire prend une dimension « existentielle« , c’est-à-dire qu’il est le signe de la vie, la signature même de la part vivante qu’il leur reste. Le lecteur est alors confronté à un rire inhabituel : non pas un rire qui surgit du comique, mais un rire tout droit issu du tragique. Au beau milieu de l’inhumain, le rire fait surgir de l’humain. Le rire reste fondamentalement le propre de l’homme, ce qui le distingue d’un animal, mais aussi d’un cadavre.

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Ça me faisait rire d'être vivant

Les rescapés sont hébétés de stupeur : jamais ils n’auraient pensé survivre. L’auteur tente de faire partager ce qu’ils ont pu ressentir au moment de l’arrivée des troupes alliées. Il utilise le « nous » parce qu’ils ont en commun cette expérience concentrationnaire. Et puis survient un « je », une expérience individuelle, qui décrit cette fois non pas le sentiment commun mais la manière dont un individu réagit à sa libération. Cet individu rit : il rit de se voir vivant, de faire l’expérience, pour la première fois depuis longtemps, de son existence. Alors que la mort était sans cesse présente, que sa mort était une menace permanente, tout d’un coup, la vie reprend le dessus. L’inimaginable survient et provoque ce rire. On peut lui donner différentes significations, mais on entend principalement dans ce rire, une joie profonde, inespérée parce que jusque-là vouée à la mort.
Depuis l’Antiquité, le rire passionne les philosophes : ils cherchent à comprendre en quoi le rire est spécifique de l’être humain et ce qui le déclenche. On peut souligner que le rire change de « codes » selon l’époque et le contexte culturel. Par exemple, on ne rit pas de la même chose pendant une guerre mondiale et en pays occupé que pendant des années économiques fructueuses où la liberté de ton et de parole est assurée.

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Est-ce indécent de rire

Un rescapé du camp de concentration rit en se découvrant « encore vivant » : l’horreur de la situation ne prête pourtant pas au rire. Un décalage immense existe entre la réalité de ce camp et le rire de cet homme. Qui peut véritablement le comprendre ? C’est exactement la problématique abordé par l’auteur dans ce livre : il mène une réflexion sur la difficulté de raconter l’expérience de la déportation. Dans cet extrait, ce rire semble indécent à ceux qui ne peuvent pas mesurer le tragique d’où il jaillit.
La liberté d’expression est un principe fondamental pour un pays qui se réclame de la démocratie et des droits de l’homme. Son usage entraîne régulièrement une réflexion sur ses conditions d’exercice : peut-on rire de tout ? L’actualité a souvent montré qu’un certain usage de la caricature ou de l’humour pouvaient déclencher des réactions violentes. Dans le contexte actuel, ce sont souvent les religions qui sont pointées du doigt et soupçonnées de peu supporter la critique humoristique.

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Ne pas rire

Le rescapé comprend que son visage ne coïncide pas avec son rire : son faciès décharné ne se prête pas au sourire. Le regard des autres lui renvoie plutôt la peur, l’horreur et la mort que son visage reflète. Personne ne semblait s’attendre à ce que cet homme rie : il n’en avait pas la tête.
Le rire surgit parfois d’où on ne l’attendait pas et c’est ainsi que quelques idées se brisent. La religion est souvent taxée de soupçonner le rire : elle aurait fait du rire une sorte d’expression « diabolique » dont le croyant devrait à tous prix se défendre. Ainsi, les protestants sont parfois perçus comme des gens austères pour qui le rire, l’humour sont bannis. Mais les chrétiens eux-mêmes se sont souvent appuyés sur la Bible dans laquelle, selon eux, il est peu fait mention du rire, d’autres expressions y seraient jugées plus nobles. Si l’histoire du christianisme a montré que la question a longtemps été d’importance, la plupart des théologiens contemporains estiment, quant à eux, que le rire n’est pas affaire d’interdit dans la Bible.

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Ne pas faire rire

Ce rescapé de Buchenwald réalise dans le regard des autres que son rire n’est pas compris. Ici, seule la terreur est communicative : ce que les troupes alliées découvrent ne leur donne pas envie de rire. « La tête » du rescapé ne fait pas non plus sourire.
Pour la première fois depuis longtemps, ces hommes qui ont survécu à la déportation ne subissent pas le regard méprisant de leurs bourreaux mais le regard effaré de leurs libérateurs. En ce lieu de mort, ne résonne plus le rire cynique et avilissant des nazis, mais le rire d’un homme en joie. Le rire a, en quelques sortes, changé de nature.
On peut s’interroger également sur les effets de sens que produit le rire. Par exemple, en distinguant les deux expressions : « rire des autres » et « rire avec les autres ». Dans ces deux cas, il en va bien du regard posé sur l’autre et de la relation établie avec lui : d’un côté le rire exclut l’autre, de l’autre il l’accueille.

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